Amos Oz, Une histoire d’amour et de ténèbres, traduit de l’hébreu par Sylvie
Cohen, parution originale 2002.
Cette histoire n’est pas un
roman. Amos Oz raconte. Il commence par le sous-sol où il a grandit avec ses
parents à Jérusalem et de proche en proche remonte l’histoire de son père et de
sa mère, de chacun des grands-parents et arrière-grands-parents, avec les
tantes et oncles de chacun. Avec eux, il parcourt l’Europe, la Pologne, Odessa,
la Lituanie, en s’aidant d’ouvrages historiques ou de témoignages. Peu avant la
moitié du livre est enfin mentionné son sujet véritable : le suicide de sa
mère alors qu’il n’avait que 12 ans. Mais Oz raconte son enfance dans un
quartier populaire de Jérusalem, avant la naissance de l’État d’Israël, avec
les récits de lutte épique, de guerre, de pauvreté, de siège, d’affrontements
politiques passionnés. Ce livre est constitué des 800 pages qui précèdent le
récit exact de ce suicide.
Peut-être comptaient-ils vaguement trouver dans la Terre d’Israël ressuscitée quelque chose de moins judéo-petit-bourgeois et de plus moderne et européen ; de moins frustre et matériel et de plus spirituel ; de moins fébrile et verbueux et de plus pondéré, serein et réservé.
C’est un livre à la fois très
intéressant et émouvant.
On découvre la population arrivée
d’Europe à Jérusalem, ayant fui les persécutions et cherchant une terre neuve,
s’entassant dans des faubourgs mal équipés. Le père de l’auteur parle 10 ou 12
langues, les polyglottes sont d’ailleurs nombreux, mais l’enjeu est de se
débarrasser du vieil yiddish, perçu comme la langue larmoyante du shtetl, au
profit de l’hébreu, la langue de la modernité et de la force. Mais l’hébreu est
encore une langue incertaine, sortant de la Bible et en cours d’adaptation.
Certains personnages ont ainsi créé les mots de la réalité du XXe
siècle, d’autres parlent comme les prophètes, enfin l’un d’eux ignore l’hébreu
argotique ce qui donne lieu à une scène de quiproquo très drôle.
Avec son accent d’Europe centrale, il n’était pas à l’aise dans la langue hébraïque, tel un amoureux ravi que sa bien-aimée soit enfin consentante, et décidé à se surpasser pour lui prouver qu’elle ne s’est pas trompée.
Il est question de la guerre, du
couvre-feu, de la famine, du siège et du bombardement de Jérusalem, des stockes
de morue parce que le nouvel état désargenté a pu acheter le stock de la pêche
norvégienne. Il n’y a pas encore de Palestiniens, mais seulement des Arabes.
Les grandes puissances sont au loin, semblant prendre des décisions à une
table, sans savoir rien de la réalité des simples gens, ni héros, ni soldats.
Sandrine a été gênée par les références historiques et politiques qu’elle ne
saisissait ; j’avoue que ça ne me gêne pas de pas comprendre. Le narrateur
est un petit garçon, il ne comprend pas grand-chose non plus et ne parvient pas
à s’abstraire des visages des gens qu’il a rencontrés.
D. Rubinger, Contrôle à Jérusalem par des soldats britanniques, 1947, Berlin, BKP, image RMN. |
Au milieu de la multitude de
portraits que comporte le livre, se détachent son père, linguiste bavard, et sa
mère, mélancolique et sans doute dépressive. Il n’y a pas de portrait réel de
leur couple pourtant, comme si Oz était retenu par la pudeur de parler de
l’intimité de ses parents.
Ce n’est pas un récit linéraire,
car le narrateur voyage dans ses souvenirs et effectue des allers et retours
entre ce qu’il a compris adulte, ce qu’il vivait enfant et ce que les uns ou
les autres ont pu lui raconter. C’est un voyage de mémoire plus que d’histoire
et les professeurs de géographie décrivent la Judée et la Galilée comme des
paysages bibliques. Oz raconte un monde disparu, des jardins, des maisons, des
modes de vie.
Ce livre contient des dizaines de
titres de romans, de poésies, de chansons, car la lecture et l’écriture sont le
centre de la vie de cet enfant.
Laquelle colline était notre
voisine de palier – massive, renfermée et taciturne, une colline chenue,
mélancolique, engluée dans ses habitudes de vieille fille, emmurée dans son
silence, somnolente, hivernale, ne déplaçant pas les meubles et ne recevant
jamais de visites, ni bruyante ni gênante mais, par les deux cloisons
mitoyennes, s’immisçaient jusqu’à nous, telle une odeur de moisi opiniâtre, le
froid, l’obscurité, le mutisme et l’humidité de cette morne voisine.
Lire le monde pour Israël.
Merci pour ce billet Nathalie. J'ai arrêté ma lecture de ce roman car j'estimais ne pas connaître assez l'histoire d'Israël et passer à côté de trop de références et d'allusions. J'ai cependant été très sensible au ton, à l'ironie dont Amos Oz fait preuve en racontant son enfance.
RépondreSupprimerJ'avoue ne pas du tout être gênée par le fait de ne pas tout comprendre (je n'y connais pas grand-chose non plus). Mais c'est surtout le ton en effet d'Oz qui importe, ironie et affection.
SupprimerJustement parce que c'est un récit plus qu'un roman, ce titre me dirait bien plus! On verra si je lâche l'affaire ou si j'engloutis les 800 pages.
RépondreSupprimerOh ça peut te plaire je pense !
SupprimerJ'avais beaucoup aimé ce roman trés documenté et sensible.
RépondreSupprimertout un monde, qqchse de circulaire à parcourir.
Oui c'est vrai, à la fin on peut reprendre depuis le début, comme un cycle.
Supprimerbeaucoup aimé pour moi "à emporter sur mon île déserte"
RépondreSupprimerIl semble inépuisable avec toutes ces histoires de famille.
SupprimerJ'ai dû lire cinq ou six livres d'Amos Oz et n'ai jamais été déçu.
RépondreSupprimerEt moi je débute et je suis confiante !
SupprimerJ'ai fui devant celui-ci parce qu'il me semblait trop gros, mais il me tente de plus en plus. J'ai préféré choisir un recueil de nouvelles, mais comme je suis un peu en retard j'attendrai ce week-end pour rédiger mon billet.
RépondreSupprimerJ'ai lu celui-ci parce qu'on me l'a prêté, c'est un peu le hasard.
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