Abdourahman A. Waberi, La Divine Chanson, 2015, édité par
Zulma.
C’est un chat qui raconte
l’histoire de son maître – un grand bluesman noir américain. Mais c’est bien
plus que ça.
Le personnage principal, Sammy
Kamau-Williams, est inspiré de Gil Scott-Heron. Il s’agit d’un hommage
poétique. L’idée n’est pas de raconter une biographie, mais de camper un
personnage, un génie, un mage, un sage, un enchanteur des mots et de la
musique. Un noir américain ayant grandi dans le Tennessee, un familier de
Harlem, un père footballeur, de la drogue et surtout des luttes.
Et surtout il ne fallait jamais désespérer car la vieille taupe de l’histoire finira par montrer le bout de son museau.
De toutes ses fibres, il voulait lever son peuple, laisser une œuvre musicale tout en cassant les jointures de la machine diabolique du capitalisme. Il est parvenu, avec ses mots, à se faire guérisseur, prophète, meneur. Chasseur de djinns. Et ce n’est pas tout.
Car le roman relie habilement
cette histoire individuelle à la tragédie collective des Amériques et de
l’Afrique : l’esclavage, les rafles opérées à l’intérieur du continent
africain, les navires négriers et la vie des noirs au Brésil et aux États-Unis.
Le blues, puis le jazz, prennent ici toute leur puissance et leur origine,
porteurs de récits anciens, de souffrances terribles supportées au fil des siècles,
musique jouée à présent dans les clubs, mais portant en elle une histoire
d’oppression et de liberté. L’évocation de Salvador de Bahia en ville où les
dieux africains se sont établis, comme une ville libre pour les noirs, est
particulièrement puissante. La musique prend ici toute sa dimension politique
et mystique.
Gil Scott-Heron, The Revolution will not be televised
Quant au narrateur, c’est un chat
vieux de plusieurs vies, un sage indien, une âme, une ombre.
Un bémol : cette évocation
reste peut-être un peu trop désincarnée pour moi, comme si les mots de Waberi
ne dessinaient que des volutes autour d’un personnage qui semble toujours leur
échapper. À la lecture du livre, difficile de se faire une idée de sa musique
par exemple. Pour tout dire, en écoutant la musique de Gil Scott-Heron, j’ai
trouvé que le livre l’adoucissait un peu trop.
Je suis donc restée un peu à
l’extérieur de ce récit en forme de conte oriental, même si j’ai vraiment aimé
cette façon de placer un musicien dans une histoire longue qui le dépasse.
Sa voix, jadis forte, qui s’éraille,
se grippe et se brise comme au bord d’un sanglot n’en est que plus touchante.
Le public, les Noirs surtout, est profondément ému par le personnage
squelettique, hirsute, vieilli avant l’âge. Une marionnette suspendue aux
phalanges d’un dieu farceur de carnaval : le Baron Samedi qui hante les
cimetières du Nouveau Monde.
Ils savent par quoi Sammy est
passé. Et si l’alcool et la drogue épaississent ses traits, si le tabac embrume
ses cordes vocales, ils lisent sur son masque de revenant une douleur, un passé
qu’ils connaissent depuis la nuit de la cale du bateau négrier.
Il a l'air très différent des deux titres que j'ai lus de cet auteur, sur lesquels j'ai un avis mitigé (Balbala et Aux Etats-Unis d'Afrique). Ça me tente bien, les extraits sont alléchants..
RépondreSupprimerJ'ai repéré d'autres titres en effet, mais j'ai un peu hésité. comme tu le vois, je ne suis pas totalement convaincue non plus.
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