La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 12 juillet 2017

Est-ce que la pluie est heureuse d’être dehors, mamie ?

Abdourahman A. Waberi, La Divine Chanson, 2015, édité par Zulma.

C’est un chat qui raconte l’histoire de son maître – un grand bluesman noir américain. Mais c’est bien plus que ça.
Le personnage principal, Sammy Kamau-Williams, est inspiré de Gil Scott-Heron. Il s’agit d’un hommage poétique. L’idée n’est pas de raconter une biographie, mais de camper un personnage, un génie, un mage, un sage, un enchanteur des mots et de la musique. Un noir américain ayant grandi dans le Tennessee, un familier de Harlem, un père footballeur, de la drogue et surtout des luttes.

Et surtout il ne fallait jamais désespérer car la vieille taupe de l’histoire finira par montrer le bout de son museau.
De toutes ses fibres, il voulait lever son peuple, laisser une œuvre musicale tout en cassant les jointures de la machine diabolique du capitalisme. Il est parvenu, avec ses mots, à se faire guérisseur, prophète, meneur. Chasseur de djinns. Et ce n’est pas tout.

Car le roman relie habilement cette histoire individuelle à la tragédie collective des Amériques et de l’Afrique : l’esclavage, les rafles opérées à l’intérieur du continent africain, les navires négriers et la vie des noirs au Brésil et aux États-Unis. Le blues, puis le jazz, prennent ici toute leur puissance et leur origine, porteurs de récits anciens, de souffrances terribles supportées au fil des siècles, musique jouée à présent dans les clubs, mais portant en elle une histoire d’oppression et de liberté. L’évocation de Salvador de Bahia en ville où les dieux africains se sont établis, comme une ville libre pour les noirs, est particulièrement puissante. La musique prend ici toute sa dimension politique et mystique.

Gil Scott-Heron, The Revolution will not be televised

Quant au narrateur, c’est un chat vieux de plusieurs vies, un sage indien, une âme, une ombre.
Un bémol : cette évocation reste peut-être un peu trop désincarnée pour moi, comme si les mots de Waberi ne dessinaient que des volutes autour d’un personnage qui semble toujours leur échapper. À la lecture du livre, difficile de se faire une idée de sa musique par exemple. Pour tout dire, en écoutant la musique de Gil Scott-Heron, j’ai trouvé que le livre l’adoucissait un peu trop.
Je suis donc restée un peu à l’extérieur de ce récit en forme de conte oriental, même si j’ai vraiment aimé cette façon de placer un musicien dans une histoire longue qui le dépasse.

Sa voix, jadis forte, qui s’éraille, se grippe et se brise comme au bord d’un sanglot n’en est que plus touchante. Le public, les Noirs surtout, est profondément ému par le personnage squelettique, hirsute, vieilli avant l’âge. Une marionnette suspendue aux phalanges d’un dieu farceur de carnaval : le Baron Samedi qui hante les cimetières du Nouveau Monde.
Ils savent par quoi Sammy est passé. Et si l’alcool et la drogue épaississent ses traits, si le tabac embrume ses cordes vocales, ils lisent sur son masque de revenant une douleur, un passé qu’ils connaissent depuis la nuit de la cale du bateau négrier.

Gil Scott-Heron, New York is killing me


L’avis de JérômeDestination PAL – la liste complète des lectures d’été. 


2 commentaires:

Ingannmic, a dit…

Il a l'air très différent des deux titres que j'ai lus de cet auteur, sur lesquels j'ai un avis mitigé (Balbala et Aux Etats-Unis d'Afrique). Ça me tente bien, les extraits sont alléchants..

nathalie a dit…

J'ai repéré d'autres titres en effet, mais j'ai un peu hésité. comme tu le vois, je ne suis pas totalement convaincue non plus.