La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 7 juillet 2017

Quel beau crâne chauve, cela fait sur moi une forte impression de sagesse.

Marie-Claire Blais, Une saison dans la vie d’Emmanuel, parution originale en 1965.

Une tranche de vie.
Nous sommes parmi une famille pauvre de la campagne québécoise au début du XXe siècle. Les enfants se multiplient et Emmanuel, le seizième, vient de naître. Certains sont morts, à divers âges. Héloïse a été au couvent et en est revenue. Jean Le Maigre est envoyé au noviciat, mais il est malade. C’est dommage, car il invente de merveilleuses histoires. Il y a aussi le Septième et Pomme et les filles au nom en A que l’on a du mal à différencier. Et la grand-mère qui régente tout le monde, sa fille qui semble invisible et son gendre pas très aimable.
Le roman couvre la première année de la vie d’Emmanuel et raconte l’évolution de la famille pendant ce temps. La pauvreté, les latrines au fond du jardin, le lit où on dort à plusieurs, les plaisirs de l’alcool et de la masturbation, l’école où on envoie les enfants sans trop savoir pourquoi, les noviciats qui recueillent certains enfants, mais qui sont autant de mouroirs ou de lieux de vice, où les enfants sont soumis à des adultes pas très nets. Une société hypocrite. De la neige et du froid.
Et surtout des mots. Ceux de Jean Le Maigre qui garnit ses cahiers de poèmes et de romans au point où on ne sait plus bien si on lit l’histoire de sa famille ou celle qu’il a inventée, exaltée, exagérée, celle où il a un destin. Les mots d’Héloïse aux vocations contradictoires. Il ne fait pas bon sortir de la norme dans ces fonds de village. La langue de Blais où les corps ont leur place, avec leurs désirs, leurs odeurs, leur chaleur un peu trouble. Une langue douce et simple qui cache bien des complexités, entre le conservatisme de la société et les revendications individuelles mal formulées. Le lecteur est pris dans le flou des mots qui enveloppent tout et noie les impressions individuelles.
Difficile de savoir à quoi pensent tous ces enfants.

Un magasin général comme en rêve Héloïse. M&M
Il faisait toutefois de pénibles efforts pour ne pas trahir la brève toux qui remuait dans sa gorge. Il craignait de réveiller en sursaut la paresseuse violence de son père. Sa grand-mère, elle, imaginait le bon repas qui suivrait les funérailles – image consolante de la mort, car M. le Curé était si généreux pour les familles en deuil ; elle le voyait déjà, mangeant et buvant à sa droite, et à sa gauche, comme au paradis, Jean Le Maigre, propre et bien peigné, dans un costume blanc comme la neige. Il y avait eu tant de funérailles depuis que Grand-Mère Antoinette régnait sur sa maison, de petites morts noires, en hiver, disparitions d’enfants, de bébés, qui n’avaient vécu que quelques mois, mystérieuses disparitions d’adolescents en automne, au printemps. Grand-Mère Antoinette se laisser bercer par la vague des morts, soudain comblée d’un singulier bonheur.
Merci Sylvie pour la lecture.

L’avis de Karine qui parle aussi du contexte de parution.


3 commentaires:

Sylvie a dit…

J'aurai sûrement un Guillaume Vigneault pour toi si tu es intéressée naturellement !

nathalie a dit…

Mais pourquoi pas ? Pour le moment, il me reste encore plusieurs livres québécois à lire, je ne vais pas vite.

Sylvie a dit…

à ton rythme ;-)