Daphné du Maurier, Rebecca, traduit de l’anglais par Anouk
Neuhoff, parution originale en 1938.
C’est trop bien !
La narratrice entame un récit
rétrospectif à propos d’événements dramatiques survenus à Manderley – mythique
propriété anglaise. Elle a 21 ans et manque d’assurance. Elle rencontre Maxim
de Winter, veuf et 20 ans de plus qu’elle. Ils s’épousent, mais elle ne sait
rien de lui. Les voici dans la propriété familiale, à Manderley. Tout est resté
à l’identique depuis la mort de la première épouse, Rebecca. La narratrice
comprend immédiatement qu’elle n’est pas à sa place et subit l’emprise de la
belle, intelligence, élégante douée, parfaite Rebecca.
Je me rappelle uniquement le contact des sièges en cuir, la texture de la carte sur mes genoux, ses bords en lambeaux, ses pliures usées, et la façon dont je m’étais dit un jour, en regardant la pendule : Cet instant-ci, à onze heures vingt, cet instant ne doit jamais se perdre. J’avais fermé les yeux pour mieux m’imprégner de l’expérience. Quand je les avais rouverts, nous étions dans un virage, et une jeune paysanne vêtue d’un châle noir nous saluait de la main : je la revois, avec sa jupe poussiéreuse et son splendide sourire amical. Une seconde plus tard, le virage était derrière nous et elle avait disparu. Déjà, elle appartenait au passé, elle n’était plus qu’un souvenir.
Ce gros roman est un huis clos
étouffant. J’ai adoré ma lecture, mais je dois avouer que certains soirs il
était difficile de lire longtemps, tellement le climat est étouffant. C’est un
roman à suspense, racontant la lutte d’une femme pour le bonheur, qui frôle
souvent le roman fantastique avec l’omniprésence de cette morte. La
personnalité de Rebecca rayonne du début à la fin du roman. A contrario, la narratrice semble bien
terne, heureuse de cette maison de rêve, écrasée par ses responsabilités de
maîtresse de maison, incapable d’être une grande dame. D’ailleurs nous ne
saurons même pas son nom, sinon qu’il est compliqué et que tout le monde l’écorche,
ce qui me semble d’une grande habileté. J’ai d’abord trouvé que sa timidité et
son manque d’assurance étaient un peu exagérés et puis je me suis rappelée de
mes 19 ans et de ce que ma jeunesse m’a fait accepter… Finalement
l’héroïne a tout de même réussi à épouser son grand amour dès le début du roman
et ce n’est pas donné à tout le monde ! La voici en train de concilier la
vie de château à une réalité sociale compliquée (ah ! les bas reprisés !)
et à ses propres rêves tourmentés. Je trouve remarquables ses réflexions sur le
passage du temps.
En rêvant d'un jardin anglais... M&M |
Évidemment le personnage
principal est Manderley. Château ou villa, Manderley est entouré d’un bois
immense, mais on n’y accède par un sentier, bordé par la mer et des récifs
féroces, comme un château fort, situé dans un lieu inconnu, mais loin de
Londres (et qui ressemble furieusement à la Cornouailles). Magnificence et
mystère, charme des fleurs, vie au grand air et confinement dans la
bibliothèque, c’est un lieu hors de toute réalité.
Ce roman s’inscrit dans la grande
tradition du roman gothique anglais. Il n’est pas anodin que la narratrice
imagine immédiatement Maxim de Winter vêtu comme un personnage médiéval.
Hommage explicite à Jane Eyre, mais
aussi aux romans de Jane Austen et d’Ann Radcliff, la tata de toutes les
romancières anglaises, Rebecca puise
son originalité dans l’abîme ouvert par la psychanalyse et la violence sourde
qui traverse les couples. Maxim de Winter apparaît comme un personnage
inquiétant, dominateur et glaçant. L’atmosphère trouble et la magie du lieu
rendent ce roman intemporel.
Il se trouve que j’ai vu le film
d’Hitchcock il y a quelques mois, son souvenir était donc très présent. Le film
est extrêmement fidèle au roman, tout en étant plus explicite ou plus marqué
sur plusieurs points. C’est un cas où le roman et le film vont de pair pour
créer une seule œuvre très réussie. La différence principale se situent au
début, car le premier chapitre nous apprend qu’il n’existe aucune autre maison
possible pour les de Winter, c’est soit Manderley soit l’hôtel anonyme.
Les fleurs qui y mouraient y
écloraient une autre année, les mêmes oiseaux y bâtiraient leurs nids, les
mêmes arbres y refleuriraient. Cette antique et délicieuse odeur de mousse
continuerait à flotter dans l’air, des abeilles ressurgiraient, mais aussi des
grillons, et des hérons nicheraient dans les profondeurs des bois. Les
papillons danseraient leur gigue joyeuse au-dessus des pelouses, les araignées
tisseraient leurs toiles vaporeuses, et des petits lapins effarouchés qui
n’avaient rien à faire là pointeraient leur musée à travers les arbustes
touffus.
Ajouter une légende |
On m'a prêté dans la foulée Manderley for ever, la biographie de Daphné du Maurier écrite par Tatiana de Rosnay. La première moitié, qui raconte la jeunesse et le genèse de la romancière, est très intéressante (et après, ça se tire un peu).
J'ai relu Rebecca il y a quelque temps, cela tient bien la route, et j'étais soufflée par les 50 dernières pages. cela ne m'étonne pas qu 'Hitchcock s'y soit lancé
RépondreSupprimerOuais, carrément ! Et en effet la fin (la dernière page) est très abrupte. Il y a une tension.
SupprimerUn incontournable, qu'il faudrait que je relise...
RépondreSupprimerLa traduction récente (2-3 ans) est paraît-il plus sombre que la 1e.
Supprimerje l'ai relu à l'occasion de la nouvelle traduction parue il y a quelques mois et dans la foulée je l'ai écouté en livre audio, ça tient remarquablement la route
RépondreSupprimeret ça donne envie à chaque fois de revoir le film qui traduit bien ce huit clos étouffant et stressant
Oui ça reste très fort.
SupprimerContente que tu aies aimé !
RépondreSupprimerTotalement ! Une romancière que je vais continuer à lire.
SupprimerDécouvert ce livre à 15 ans avec les copines. C'était le livre culte dans notre groupe avec Autant en emporte le vent. Je l'ai relu plusieurs fois depuis.
RépondreSupprimerSon manque d'assurance et sa timidité ne sont pas exagérés non seulement parce qu'elle est très jeune mais aussi à cause de sa classe sociale. Elle est du côté des serviteurs, pas des maîtres.
Non, le film n'est pas fidèle au livre à la fin. Si mes souvenirs sont bons et contrairement au roman, Hitchcock ne fait pas de Maxime de Winter un assassin. Cela n'aurait pas passé la censure.
Mais si ! C'est la même fin !
SupprimerUn titre qui est dans mon top ten. J'ai tellement rêvé de Manderley !
RépondreSupprimerEt tout pareil que Claudia, lu à l'adolescence et la fin du film n'est pas la même que celle du livre. Tu vas voir, vérifie...
Tu tutu ! C'est vous qui allez vérifier ! Nan mais oh !
SupprimerHeureusement il y a Wikipedia en anglais : effectivement dans le film la mort est accidentelle, mais il cache le corps. Vous avez raison les aînées... pffff.
Supprimer