La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 11 janvier 2018

Vouloir renouer avec le commencement et la patrie est un piège à monstres.

Michal Ajvaz, L’Autre ville, traduit du tchèque par Benoît Meunier, parution originale 1993, édité en France par Mirobole.

Une aventure peu ordinaire.
Le narrateur découvre un livre écrit dans un alphabet inconnu chez un bouquiniste. Et grâce à cela il commence à parcourir les rues d’une autre ville, installée dans les interstices de Prague, une autre ville à la fois fascinante et menaçante, où il s’aventure dorénavant presque chaque nuit.

Finalement, la sévérité avec laquelle nous limitons les déplacements de notre œil prouve bien que nous sommes conscients que notre regard comprend obscurément les monstres des confins, et que nous craignons qu’il ne croise des créatures connues, n’engage la conversation avec elles, ne se souvienne d’amitiés anciennes et n’oublie au passage la langue commune.

C’est un roman déroutant. Tout d’abord, on ne sait rigoureusement rien du narrateur, un homme de Prague aimant les livres. Il ne mène pas réellement une enquête sur l’autre ville, mais semble plutôt se laisser guider par le hasard de ce qui se présente à lui, approfondissement progressivement sa connaissance. De fait on se rend compte que de nombreux habitants de Prague sont au courant qu’il y a quelque chose, mais préfèrent ne pas le savoir.
Quant à la ville… Elle s’ouvre dans les anomalies de notre monde, derrière une porte au fond d’un couloir, en suivant les rails d’un tramway, au fond d’une écluse, dans un train abandonné sur les voies et à l’intérieur des statues qui ornent les places de Prague. Son dieu est un jeune homme attaqué par un tigre, mais sa mythologie s’appuie sur de nombreux combats contre des animaux. En l’occurrence, le motif de la lutte contre le requin revient à de nombreuses reprises, y compris de façon amusante. L’autre ville fait peur, à la fois dans sa façon d’être présente juste sous nos pas et dans l’épaisseur de nos murs et dans ses pratiques barbares.
 
Léger, Les Fumeurs, 1911 Guggenheim NY.
J’ai ressenti diverses impressions au cours de ma lecture. Bien sûr, la création de cet univers parallèle est réussie. Toutefois je trouve que la quête du narrateur manque de motivation et d’une direction claire. On a la sensation que les nuits aux aventures incompréhensibles se succèdent sans suite et cela manque d’accroche. Mais il faut reconnaître que ce procédé rend les choses d’autant plus mystérieuses, en laissant supposer que l’autre ville coexiste avec Prague en permanence.
Et la langue est très… Il faut s’accrocher un peu. Lorsque les récits concernent l’autre ville, il semble que les morceaux de phrase s’emboîtent les uns aux autres, sans jamais s’arrêter. C’est qu’il s’agit de mimer l’agencement des lieux qui s’ouvrent les uns dans les autres. Le narrateur ne parviendra jamais au centre de la ville, chaque centre étant une nouvelle périphérie. Il faut d’ailleurs reconnaître que certains passages théoriques sont un peu lourds.

Personne n’est étranger, tout le monde finit par rentrer chez soi, même les huîtres qui forment de longues files indiennes pour entrer dans les villes, et dont les troupeaux silencieux traversent nos chambres à coucher en cliquetant. Comme je suis content, chaque fois que j’entends leurs doux petits glissements dans le noir !

Le narrateur n’exprime ni joie ni exaltation face à sa découverte. Il semble plutôt à la fois curieux et triste et même en proie à une véritable obsession, incapable d’oublier ce qu’il a vu.
Le motif très impressionnant de la bibliothèque qui se transforme peu à peu en jungle.
Une lecture déconcertante.

Prague est décidément une ville bien romanesque, puisqu’elle est également habitée par le Golem.

Vous verrez que, touchés par ce souffle, les contours de nos édifices se désagrègent en temples barbares qui rayonnent d’une splendeur immonde et reluisent d’un or vil et oublié. Ce venin ronge jusqu’aux mots dont nous usons et les transforme en antiques sons de forêt vierge chargés d’angoisse, en musique solitaire de statues. La vie se résume alors à un rôle incompréhensible dans la représentation sans fin d’un mythe obscène qui raconte l’agonie d’un jeune dieu dans la jungle.

L’avis d’Imaginelf.





2 commentaires:

Dominique a dit…

je retiens le nom de cet auteur, mais c'est un genre difficile, n'est pas kafka qui veut et situer l'intrigue à Prague c'était prendre un gros risque de se voir comparé

nathalie a dit…

Je ne vois pas trop le rapport avec Kafka. Ajvaz situe l'intrigue de son roman à Prague parce qu'il est tchèque. Et puis s'il faut absolument aller pêcher une comparaison, je pencherais plus vers Le Golem de Meyrink. Un autre roman de cet auteur a été traduit récemment, il m'intrigue, je le lirai sans doute.