Karen Blixen, La Ferme africaine, écrit en anglais, traduit par l’autrice en danois, traduit du danois en français par Yvonne Manceron, parution originale à Copenhague et à Londres en 1937.
Ce livre ne raconte pas réellement une histoire, mais rassemble une série d’anecdotes et de réflexions, de souvenirs relatifs aux années que Blixen a passé au Kenya. Rien n’y est dit des raisons pour lesquelles elle est venu, le mot « mari » apparaît brutalement vers la page 300, on saura simplement qu’elle s’en va ruinée. Pas question d’amour non plus, mais de longs moments passés avec un ami anglais, dans une évocation pleine de pudeur.
L’air des montagnes était léger, il me montait à la tête comme un vin capiteux, et, pendant ces trois mois, je puis dire que je me suis senti le cœur léger et parfaitement satisfaite.
Je me souviens qu’à ma première lecture je n’avais pas compris grand-chose, notamment parce que je ne comprenais pas ce que faisait cette danoise près de Nairobi et qui était ce gouverneur et tout et tout (et c’est quoi cette guerre ?). Rien n’est dit à ce propos, qui semble une évidence. Depuis, j’ai progressé sur la colonisation (et la Première guerre mondiale) et j’ai vu le film Out of Africa, mais le texte conserve son aspect un peu mystérieux. Blixen ne raconte pas sa vie, mais ses souvenirs, par fragments, comme une mosaïque un peu dépareillée. Cela n’est pas sans charme.
Le bémol de taille concerne tout de même le contexte colonial. Rien n’est expliqué à son sujet, il semble aller de soi. Bien sûr, Blixen regrette que les blancs aient accaparé les terres et que les indigènes aient perdu leurs usages et coutumes, elle fait soigner les blessés de toute couleur de peau, mais le processus en lui-même ne fait guère l’objet de critique, mais plutôt de nombreuses remarques ironiques. De plus, travers de l’époque, elle généralise à propos des méridionaux et des nordiques, des blancs et des noirs, des Kikuyus et des Somalis. Pour moi qui suis plutôt allergique à la généralisation, c’est un peu difficile.
En réalité, Blixen demeure ambiguë, louant la civilisation et le progrès technique et regrettant l’extension des villes et des routes, la fin du monde sauvage. Il lui semble peut-être que le continent africain aurait dû, pour son bien, tout à la fois rester à l’écart des Européens et du progrès technique, comme une immense terre de liberté.
En plein midi, l’air devenait vivant, il brûlait et éclaboussait comme une flamme mouvante, une flamme liquide comme l’eau, réfléchissant et multipliant les objets en d’incessants mirages. À cette altitude, il vous enivrait et vous donnait des ailes. On se réveillait dans nos montagnes avec le sentiment d’avoir enfin trouvé son élément.
J. Dunand, Antilopes affrontées, 1930, laque, Musée du quai Branly. |
Ceci mis à part… J’ai vraiment apprécié ma lecture. C’est une évocation d’une ferme perdue au bout du monde, dans un monde disparu, où il apparaît des antilopes et des lions, où les amis de toute nationalité s’arrêtent pour la nuit sans prévenir. C’est une vie libre, telle qu’on peut en rêver (du moins pour les blancs, on est d’accord), loin des obligations sociales inhérentes à la vie en ville. Contrairement au film, le texte ne met pas en avant le fait qu’il s’agisse d’une femme seule accomplissant des tâches d’hommes dans un monde viril. Blixen ne met pas forcément en avant cet aspect, alors qu’elle connaît une existence bien plus libre au Kenya qu’en Europe. Elle semble envoûtée par le lieu, par l’atmosphère, le climat, les immenses espaces, l’aventure si proche. Elle cohabite véritablement avec son personnel, ces familles kikuyus qui travaillent pour elle en étant à peine payées et sans avoir le droit de posséder la terre. Elle les soigne et aménage une école, ne contrarie pas leurs usages, entretient des liens individuels, les protège. C’est un peu étonnant.
Je retiens les passages consacrés à la beauté des nuits à l’Équateur, à cette altitude, et au plaisir de découvrir les paysages en avion.
J’ai vu toute une troupe d’éléphants en marche dans la forêt vierge, une forêt si épaisse, qu’il n’y filtrait que des éclaboussures de lumière. Les grandes bêtes avançaient comme si un rendez-vous les eût appelés au bout du monde. On eût dit la bordure gigantesque d’un vieux tapis persan, infiniment précieux, dans des tons d’or, de vert et de brun. J’ai regardé à plusieurs reprises des girafes se déplacer dans la plaine avec leur grâce particulière et inimitable, une grâce en quelque sorte végétale.
Mon billet sur Le Festin de Babette.
c'est un livre magnifique que j'ai lu et relu, offert et fait lire à mes filles
RépondreSupprimermême si le récit est enjolivé et quand on lit les lettres d'Afrique on voit tout de suite que c'est enjolivé mais qu'importe c'est magnifique et même si dessous on ressent le paternalisme européen j'en fait fi pour la beauté du récit et des personnages
Je suis tout à fait d'accord. On passe sur le contexte (mais c'est peut-être justement l'origine de mon malaise) pour aimer le récit, les descriptions, l'évocation de ce monde.
SupprimerLe film... que dire? Mais le roman est aussi à lire absolument!
RépondreSupprimerVouiiii !
Supprimerj'en garde un souvenir vague et beau de ce livre . la relation du quotidien est apaisante et l'ambiance "aquarellée " . le contexte colonial ? difficile de juger. L'époque n'avait pas les mêmes instruments de mesure. Ç'est subjectif, délicatement féminin et sans aucun tragique. la valeur est ailleurs que dans un témoignage sur le rapport de blanc à l'Afrique à la Joseph Conrad (pour comparer à la même période)
RépondreSupprimerJe suis tout à fait d'accord avec toi, surtout avec le terme "vague", sans doute pour ça qu'à ma 1e lecture, il y a pas mal d'années, je n'avais pas tout compris.
SupprimerUn livre important pour moi, lu et relu à plusieurs reprises. J'y ai vu aussi la naissance d'une vie d'écrivain et la remise en cause de tout un tas de valeurs défendues par le colonialisme. De plus, Karen Blixen comprend aussi son impuissance à tout changer mais elle a fait ce qu'elle a pu là où elle était.
RépondreSupprimerBon week end.
Oui en effet c'est un livre plus personnel que descriptif, à travers l'Afrique elle parle de son désir de liberté.
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