Emily Brontë, Les Hauts de Hurle-Vent, traduction de Frédéric Delebecque, première parution 1847.
Relecture pour le plaisir.
Tout commence avec un narrateur volontiers loufoque et suffisant. Je ne me souvenais pas du tout de lui, mais il donne à ce début de roman un ton trompeur, en mélangeant tout et en contribuant à égarer le lecteur. Puis nous passons à la narratrice principale, Hélène Dean, domestique qui connaît tous les petits et grands secrets de la famille. Nous plongeons alors avec délice et effroi dans le drame (délice et effroi, comme une inspiration de roman gothique).
Dans la vieille demeure ancestrale des Hauts de Hurle-Vent, le vieux monsieur Earnshaw adopte un jour un enfant (noiraud comme un bohémien) venu de nulle part : Heathcliff. Celui-ci grandit avec les enfants de la maison, dont Catherine, mais on lui fait sans cesse sentir son infériorité sociale. Catherine et Heathcliff deviennent inséparables, amoureux passionnés, sauvages tous deux, rebelles à la civilisation. Mais en grandissant Catherine se tourne vers Edgar Lindon, descendant d’une vieille famille, mais bien plus conventionnelle. La vengeance de Heathcliff sera terrible. Longuement calculée, elle s’affranchira de toutes les normes de la civilisation et portera jusqu’aux générations suivantes.
Mes grandes souffrances dans ce monde ont été les souffrances de Heathcliff, je les ai toutes guettées et ressenties dès leur origine. Ma grande raison de vivre, c’est lui. Si tout le reste périssait et que lui demeurât, je continuerais d’exister ; mais si tout le reste demeurait et que lui fût anéanti, l’univers me deviendrait complètement étranger, je n’aurais plus l’air d’en faire partie.
Constable, Esquisse pour Hadleigh Castle, 1828, Tate Britain. |
Passion et vengeance, colère et terreur, nous ne sommes pas dans le roman de tout repos. D’ailleurs cette lecture du soir a plutôt nui à mon sommeil, à cause de son climat franchement agité.
Pour cette seconde lecture, j’ai été très sensible aux rôles des différentes narrateurs, puisque le récit principal est sans cesse rapporté par différentes voix. C’est ainsi que nous ne voyons jamais Heathcliff directement, non plus que Catherine, mais avons sans cesse leur description par un témoin effaré. La scène de quasi folie de Catherine arrachant et mordant les plumes de son oreiller est saisissante, ainsi que celles des colères de Heathcliff décrit comme un cannibale, aux regard hypnotique, noir comme le diable. Plus que la première fois, Hélène Dean m’est apparue comme une actrice de l’intrigue, précipitant les événements plus ou moins consciemment – son rôle ambigu me semble proche de celui de Brontë qui observe ses personnages et les fait vivre sans que le lecteur ne comprenne rien à cette mécanique infernale.
Il regarda fixement l’objet de la conversation, comme on regarderait un animal étrange et repoussant, une scolopendre des Indes*, par exemples, que la curiosité vous pousse à examiner en dépit de l’aversion qu’elle inspire. La pauvre enfant ne put endurer cet examen.
* Tu parles d’un exemple ! Elle en sait des choses Mrs Dean.
Je note aussi le personnage de Joseph en paysan cocasse, héritier des personnages de valets du théâtre des XVIIe et XVIIIe siècle, traditionnel contrepoint comique des héros tragiques. D'ailleurs, comme le montre la citation mise en exergue de ce billet, le roman flirte volontiers avec le grotesque, avec tous ses effets, y compris comiques, tant l'outrance est, si j'ose, exagérée dans les scènes de furie.
On trouve sans surprise une attirance profonde pour la mort, tout à fait propre aux romans romantiques. Ce huis-clos étouffant met en scène des personnages qui pratiquent l’outrance systématique. Vraiment, c’est brillant !
Derrière moi resplendissait le soleil à son déclin, devant moi se levait la lune dans sa douce gloire. Peu à peu l’éclat du premier s’affaiblit, celui de l’autre grandit, tandis que je quittais le parc et que je montais le chemin qui bifurque vers la demeure de Mr Heathcliff.
Une écrivaine.
Le lien vers mon premier billet.
Quelle bonne idée de relire ce classique, je m'y mettrais bien aussi, tiens. J'ai lu il y a quelque temps La migration des cœurs de Maryse Condé, qui reprend son synopsis. J'avais beaucoup aimé aussi, elle s'en inspire mais donne son roman (qui se déroule aux Antilles) a une empreinte qui lui est propre.
RépondreSupprimerAh je ne savais pas ! Je note le titre de cette variation, c'est intéressant.
SupprimerJ'avais envie de le relire, finalement je l'ai écouté avec bonheur, les émotions sont toujours là
RépondreSupprimerÇa doit même pouvoir faire peur à l'oral ! Enfin, moi, ça a un peu perturbé mon sommeil. Ces gens ne sont pas de tout repos.
SupprimerJ'ai admiré la plume, le souffle, mais fus un poil fatiguée de tant d'excitation... ^_^
RépondreSupprimerAh beaucoup de bruit et de fureur ! C'est sûr que ça manque de tendresse.
SupprimerCela me dirait bien de la relire lu il y a trop longtemps
RépondreSupprimerAllez on se laisse tenter !
SupprimerQuelle coïncidence ! Je viens, à l'instant, de poster un commentaire sur le bilan 2018 de Lilly à propos de ce roman, dans lequel je lui disais que j'aimerais le relire prochainement et voilà que je tombe maintenant sur ta relecture ! Serait-ce un signe ?
RépondreSupprimerEn attendant, je suis dans Agnes Grey et honnêtement, c'est sympatique et divertissant sans être transcendant - pour l'instant du moins. Ce n'est donc pas un mal que je me sois penchée sur ce roman d'Anne avant de replonger dans le chef d'oeuvre d'Emily. Il aurait fait pâle figure après coup.
J'avais lu les romans d'Anne Brontë en période de crise et ils étaient très apaisants alors je garde une tendresse pour eux (surtout la dame de Whitehall ou quelque chose du genre, qui est très intéressant), même si, effectivement, ils ne boxent pas dans la même catégorie que celui d'Emily.
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