La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 30 septembre 2019

Voici une preuve de l’existence de l’existence de ce prince que je fus.

Jordi Soler, Ce prince que je fus, traduit de l’espagnol par Jean-Marie Saint-Lu, parution originale 2015, édité en France par La Contre Allée.

Parmi les soldats qui accompagnaient Cortes dans le Nouveau Monde se trouvait don Juan de Grau, baron de Toloríu, qui enleva Xipaguacin, une des filles de Moctezuma. C’est ainsi que la princesse se retrouva dans un village plein de brouillard de Catalogne. Et c’est ainsi qu’au milieu du XXe siècle, un noble décadent catalan put profiter de son état de dernier descendant aztèque pour lancer de grandes fêtes. Et il finit ses jours dans un bled paumé du Mexique, nous dit le roman.
En voilà une très agréable lecture ! Nous avons un court début de forêt et d’aventures, suivi de l’évocation de la vie de la princesse dans les brumes et les forêts de Catalogne. Et ce portrait réussi de l’aristocratie espagnole sous le franquisme (on croise Franco et Dalí), en quête de titres ronflants et de fantasmes d’outre-mer, se jetant à corps perdu dans les fêtes aztèques ou soi-disant telles, avec beaucoup d’alcool. Et le journaliste (le narrateur) s’entretenant des heures avec le descendant de l’empire, Son Altesse, alcoolique miteux, mais plein de noblesse quand même.
Il est question d’un homme qui parvient à se construire un destin en profitant de la crédulité, mais aussi des envies de rêves de ses concitoyens, le tout dans un franquisme barbant. C’est aussi une belle réflexion sur ce qu’est la noblesse. Difficile de ne pas penser au grand Concert baroque de Carpentier, qui s’étend longuement sur cette identité problématique entre Espagne et Mexique.

Un roman picaresque, plein de rêve et de folie, tout à fait réjouissant.
J’ai un bémol : c’est un poil trop… sage ? Il manque un petit quelque chose, un zeste de fantaisie ou d’épopée. La langue est sans doute un petit peu trop plate et le roman manque d’ampleur et se traîne un peu. Ce qui ne m’a pas empêché de prendre grand plaisir à ma lecture.

D. Rivera, détail d'une fresque, 1931 Moma.
Tout ceci a terriblement l’air d’un roman, malgré les références aux archives et à la presse et aux auteurs. Les sources sont plus borgésiennes que crédibles (pour moi, c'est un compliment, j'aime cette invention). Et pourtant ! Wikipedia m’indique que le fond est authentique. On croit rêver. Il semble même que le roman soit beaucoup plus posé que la réalité – parce que les nazis auraient cherché le fameux trésor caché !
Donc, sachez qu’a existé en Espagne un Ordre Impérial et Souverain de la Couronne Aztèque.

Son descendant, son héritier, son arrière-arrière-arrière rejeton, la chair de sa chair, cet étrange spécimen en qui s’incarnaient simultanément l’empire aztèque et la noblesse espagnole ou, pour le dire avec tout le dramatisme requis par ce concept, le conquis et le conquérant ; et c’était justement là, dans déchirure entre conquérants et conquis, que poussait la fleur, qu’affleurait la nouvelle géométrie, que fleurissait l’esprit de la princesse Xipaguazin et celui de don Juan de Grau, baron de Toloríu, qui guidaient le dernier descendant de cette invraisemblable lignée, représentée par cet homme qui avançait comme un possédé, avec ses lunettes noires et sa cape de plumes de couleur, de plumes de toucan, d’ara, de pie et de colibri, de perruche, de xoconaztli, de xirimicuil et xirimi cuatícuaro et de xirimiticuaticolorodícuaro.

Merci Babelio et La Contre Allée pour la lecture !



4 commentaires:

Dominique a dit…

il est noté celui là, j'ai lu plusieurs livres sur cette conquête, celui là a l'air un peu déjanté non ?

nathalie a dit…

Le roman ne traite pas vraiment de la conquête et beaucoup plus de l'héritier de la lignée au XXe siècle. Un personnage déjanté en effet, c'est le mot, même si le roman l'est moins.

Anonyme a dit…

Bonjour Nathalie !
Tu me fais rire en disant : trop sage... J'ai pourtant l'impression que c'est complètement fou.
Syl.

nathalie a dit…

Le fond est fou, mais pas la forme. Nuance !