La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 26 mars 2020

Il se le dit tout haut, Umánaq, et goûta, longuement et avec bonheur, la saveur du m et du n.

Flemming Jensen, Ímaqa, traduit du danois par Inès Jorgensen, parution originale 1999, édité en France par Actes Sud.

En 1972 au Danemark, Martin instituteur demande sa mutation dans un comptoir paumé du Groenland. Il se retrouve à Nunaqarfik, 150 habitants et 400 chiens. Il découvre tout un monde, les Groenlandais, la chasse et la pêche, une nouvelle langue, une autre culture, tout en étant représentant officiel du Danemark – on est en pleine politique d’assimilation forcée. Il est censé apprendre le danois de Copenhague (avec des hêtres et des femmes blondes) à un pays de glace. Il découvre les apports pour le moins inattendus de la modernité : l’alcool, l’argent, mais aussi le rythme des bateaux et des hélicoptères et la façon dont les Groenlandais s’approprient tout cela. Martin lit Orm le Rouge. Il rêve d’aventure. C’est tout un programme !

La dentition était un vrai problème pour un peuple qui n’avait jamais eu besoin de s’en soucier. Le grand fautif, c’était le biscuit sec, hérité de la marine danoise, lequel était devenu, tout comme les autres gâteaux industriels de longue conservation, le dîner des paresseux. Ceux qui se nourrissaient encore des riches alimentaires groenlandaises n’avaient aucun problème dentaire – leurs dents se trouvaient entretenues pendant qu’ils mangeaient. La morue séchée est aussi efficace que la brosse à dents – certes, l’odeur est différente mais tout ça reste une affaire de goût.

Hommage est rendu au goût pour la fête et pour l’inattendu des Groenlandais, ce qui semble totalement exotique aux Danois qui aiment les choses bien réglées et bien prévues. Notons d’ailleurs la faculté des Groenlandais à jouer de la mauvaise conscience coloniale du héros pour lui faire avaler n’importe quoi.
C’est un très agréable roman, dépaysant, au ton léger et sérieux à la fois, car l’avenir n’est pas rose pour cette lointaine colonie danoise. Il exprime une certaine mélancolie, mais sans dureté ni désespoir. Et puis, les paysages sont magnifiques !
Harris, Montagnes du Groenland, 1930, Ottawa

J’ai lu ce roman en semaine 1 du confinement et il y a un épisode très amusant de pénurie de papier toilette ! Il y a aussi un épisode très drôle avec la tournée d’un chanteur de l’opéra de Copenhague et un jeu avec des cannettes de bière.

Martin avait un jour montré le calendrier de l’école au grand chasseur, le vieux Juânse. Il lui avait expliqué comment un calendrier comme celui-là permettait d’évaluer d’un seul coup d’œil le temps dont on disposait.
Juânse avait trouvé que le calendrier était très beau – celui-ci était illustré d’un ennuyeux monument de Copenhage – mais personnellement il se refusait à en posséder un. Pour lui, pareil objet mettait justement l’accent sur le temps qui manquait. Et ça, il n’en avait pas besoin. C’était même une drôle d’idée de tenir la comptabilité de ce genre de choses.

Car la saison sombre est une période claire comparée au moite hiver danois. Le soleil est absent – c’est vrai – mais il y a une autre lumière que celle du soleil. La lune, les étoiles et le voile mouvant des aurores boréales brillent dans la transparence de l’air au-dessus de toute la blancheur qui couvre terre et mer.
Ici, il y a une grande hauteur de plafond.

L’ais de Keisha.

2 commentaires:

  1. Super bonne pioche bibli pour ma part, ha oui les canettes de bière. Je me le relirais bien, tiens, mais pas maintenant bien sûr;
    je vois que tu lis Le moulin sur la floss, ah oui j'ai lu quasiment tous les Eliot, et là ils sont sur mes étagères!!! J'attends ton avis
    Et Pal intacte.

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    1. Ne sois pas pressée pour le Moulin : je ne le lis que le soir, je suis plus dans les livres d'histoire dans la journée !
      J'avais repéré Imaqa dès sa sortie mais j'ai mis un peu de temps à le lire, je ne regrette pas, c'était très agréable.

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