Raphaël Confiant, Brin d’amour, 2001.
Nous sommes en Martinique, dans les années 50, à Grand-Anse, un coin perdu posé au bord de l’effrayant océan Atlantique. Le monde tourne autour de Lysiane, la plus belle négresse du village, belle malgré sa peau noire bleue, belle parce qu’aussi sombre, rivalisant avec la jolie petite mulâtresse d’à côté. Autour des jeunes filles les hommes tournent et les mères chassent le mari (dans tous les sens du terme). Lysiane lit des romans condamnés par le curé et écrit de la poésie, ce qui la rend effrayante, mais fascinante. Jusqu’au jour où un cadavre est découvert sur le rivage.
Elle s’emmurait à l’évidence dans les boutiques obscures de ses pensées, vierge noire en ses allures, indifférente à toute chose, même à l’hivernage qui semblait, au beau mitan de juin, s’épuiser dans sa sérénissime laideur, tapissant le sol de si soudaines jonchées de gliricidias qu’on renonçait net à brocanter deux mots-quatre paroles. Tout ce mauve nous stupéfiait, il est vrai.
En voilà un bon roman ! Pas forcément pour l’intrigue, car il ne se passe pas grand-chose (et la fin ne me semble d’ailleurs pas très réussie), mais pour l’atmosphère et la langue.
L’atmosphère d’abord. Un petit village où tout le monde se connaît, où les figures nous sont dévoilées peu à peu, où les secrets de chacun sont mis au jour les uns après les autres. Ces histoires de meurtre ? Le détective détaché sur place s’embrouille, chacun dispose d’un motif pour faire le coup. Ici chacun est obsédé par une chimère personnelle, un trésor caché, une révélation divine, les jambes des femmes autour desquelles les hommes tournent comme des mouches. Il y a un propriétaire blanc et lointain caché dans la grande maison, la canne à sucre omniprésente, les histoires de l’esclavage même si l’île est devenue un département et des histoires de Collaboration, l’interminable dégradé de la couleur de la peau, du noir au blond. Tout cela englouti par le bruit constant des vagues de l’océan qui roulent sans trêve, noyant les nageurs, engloutissant les bateaux, sur un sable noir et brillant.
La langue, incroyable, inimitable, inventive. Les phrases de créole (traduites) se glissent dans les dialogues, mais voici un français nouveau, plein et chaud, tout vivant et inattendu. La poésie de Lysiane qui nous plonge dans l’inconscient d’une jeune femme sensuelle et éveillée et dans les souvenirs de tout un peuple.
Massée au bordage de cette mer que tous abhorraient de génération en génération depuis une éternité de temps, sans que quiconque fût en mesure de fournir une raison plausible à semblable détestation, la figure dévorée par l’inquiétude, la population du bourg attendait. En son for intérieur, elle accusait la mer de tous les maux : de happer les bambins innocents, de scander le sommeil des humains de ses vagues fracassantes, de noircir l’argenterie avec ses embruns plus salés qu’ailleurs et, surtout, d’être bréhaigne. Désespérément bréhaigne.
Merci Magali pour la lecture !
M. Hoffman, Martiniquaise, 1928 Brooklyn museum |
Oui, la langue (merci pour les passages) mais bon, sans urgence!
RépondreSupprimerLa langue est très dépaysante et ça peut faire du bien en ce moment.
SupprimerJ'ai lu de cet auteur Le meurtre du Samedi Gloria, Chimères d'En-Ville (dont j'ai adoré la langue) et La lessive du Diable, avec lequel j'ai eu un peu plus de mal, en raison du propos un peu obscur (au sens "abscons"). Et je continuerai sa découverte, c'est sûr.. merci pour cette proposition qui sort des sentiers battus !
RépondreSupprimerJe crois que j'ai un roman de lui sur les étagères. Et je note les titres que tu cites. Je continuerai également !
Supprimerune langue inattendue en effet
RépondreSupprimerje crois n'avoir jamais lu l'auteur ! je ne jure pas de le lire immédiatement mais il va s'ajouter à ma listttttttttttte
Je voulais le lire depuis un moment et j'ai eu l'habileté d'offrir ce roman à une amie, qui me l'a ensuite prêté !
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