La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 16 janvier 2021

Aubrey Beardsley


Aubrey Beardsley fait partie des innocentes victimes de l’épidémie de covid-19. L’exposition très attendue que le musée d’Orsay lui consacre a ouvert le 13 octobre. Le 1er novembre, le musée fermait. À l’heure actuelle, le musée n’a pas rouvert et il n’est pas prévu de prolonger une exposition qui aura donc duré 2 semaines. J’ai eu la chance incroyable (car une cicatrice sur la figure n’empêche pas d’avoir une chance incroyable) de la visiter le 15 octobre, dans un musée absolument désert et silencieux. J’ai pris des milliards de photos, je vous en montre quelques-unes.

Je connaissais le nom de Beardsley, car je savais qu’il avait illustré la Salomé d’Oscar Wilde. C’est d'ailleurs pour ce travail qu’il est connu en France, mais plus généralement c’est un illustrateur de l’ère victorienne.

Aubrey Beardsley (1872-1898) a eu une carrière brève, mais fulgurante (il est mort de la tuberculose). Il fournit des gravures pour des livres et des revues, mais aussi pour des affiches.

Panorama en images.


Une série d'oeuvres consacrées au mythe arthurien. Ici, La découverte du Saint Graal (1892, dessin à l'encre, collection privée). La finesse et la sûreté du trait sont incroyables. On a un dessin très ornementé, encore très influencé par Burne-Jones. C'est une assez grande planche et il y a plein de détails dans les armures des chevaliers, dans la végétation vaguement inquiétante, dans le décor.

Quatre planches illustrant Salomé, la pièce d'Oscar Wilde (1893).
En haut à gauche, La Toilette de Salomé, seconde version, car la première était trop licencieuse (l'époque est puritaine). Le motif de la houppette apparaît dans plusieurs planches, détourné, avec beaucoup d'humour et de malice.
En haut à droite, Le Paroxysme. Le moment n'apparaît pas dans la pièce, mais rappelle furieusement la toile de Gustave Moreau.
En bas à gauche Salomé et Saint Jean-Baptiste. Wilde (comme tout écrivain se voyant illustré) n'a pas été satisfait par cette série de gravures, notamment parce que son visage caricaturé apparaissait comme la lune dans certaines planches, mais je trouve que Beardsley rend bien l'atmosphère orientaliste, décadente et vénéneuse de la pièce.
L'artiste manie avec virtuosité les aplats blancs séparés par de très minces lignes noires. On voit bien que Beardsley est capable d'alterner grande sobriété et ajouts de détails ornementaux significatifs ou superflus.
En bas à droit, La Cape noire, avec un merveilleux aplat noir sur lequel se détachent de minces motifs blancs laissés en réserve. Un souvenir des estampes japonaises et des belles en kimono.
Évidemment les sous-entendus sexuels abondent dans le travail de Beardsley, mais les plus réussis sont ceux que l'on devine (alors que le musée d'Orsay s'obstine à très lourdement insister dessus dans ses cartels).
La grosse femme (nouveau titre, car il s'agit de la femme d'un copain artiste, dessin à l'entre, 1894 Tate). Je suis admirative de la simplicité du trait : la bouteille, la silhouette, le chapeau, les gants. Rien n'est superflu. Le petit ruban noir souligne le décolleté. C'est une sculpture.

Pièce nocturne (1894, encre, University of Cambridge). Ici le noir somptueux. Regardez à l'arrière-plan comme l'encre est légèrement, très légèrement, mais très nettement diluée, pour produire un gris sombre qui se détache sur le noir et permet de figurer les contours d'un bâtiment.  Tout le reste est sobre : la rue se limite à cet alignement et à une ou deux loupiotes. La silhouette de la femme se détache avec une grande élégance. Les plus infimes détails sont extrêmement nets. Le titre fait allusion à Whistler, un autre artiste qui a inspiré Beardsley.
Vénus entre les dieux termes (1895, encre, Trustees of the Cecil Higgins Art gallery). Une inspiration bien différente, entre rococo, papiers peints de William Morris, ornementation à outrance, avec ces jeux de végétation un peu inquiétants.



Messaline retournant chez elle (1896, encre, V&A) au petit matin, après une nuit de débauche et avec une dégaine de mégère malcommode. N'empêche : l'escalier, la silhouette lourde dessinée en quelques traits, la riche chevelure et le coup d'oeil... tout y est !

Un trop court aperçu sur un artiste brillant, tout juste entr'aperçu. 

13 commentaires:

  1. Ta première phrase m'a alertée! Oui, il est mort depuis un bout. Je n'avais pas eu vent de cette expo, de toute façon hélas on ne peut guère programmer en ce moment.

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    1. C’est vrai que ma formulation est maladroite en ce moment, je n’y avais pas pensé.
      C’était une exposition éclair.

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  2. autant j'aime la légende arthurienne autant le reste me laisse de marbre hélas

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  3. très agréable à lire, oui je connais cet illustrateur, ce peintre.
    Tu as eu de la chance, je trouve ta première phrase marrante avec pointe d'adrénaline!

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    1. Tu as dû le croiser lors de tes études anglaises ou comme illustrateur.

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  4. Moralité: aller voir les expositions quand c'est possible et ne pas tarder, après c'est trop tard! J'enrage de ne pas y être allée

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  5. J'aurais adoré ! J'y trouve aussi un petit côté Sécession Viennoise dans la richesse des ornementations de certains dessins. C'est après tout la même époque.

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    1. Bien vu ! Bon je connais excessivement la Sécession, mais oui, même époque, même rapport aux arts graphiques et à l'art décoratif, donc rien d'étonnant.

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    2. "excessivement PEU" bien sûr.

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