La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 2 février 2021

Le silence bruissant dans les oreilles comme lorsqu’on écoute la mer dans un coquillage.

 W. G. Sebald, Les Anneaux de Saturne, traduit de l’allemand par Bernard Kreiss, parution originale 1995.

 

Au début du livre, l’auteur est hospitalisé et il recopie ses notes prises un an auparavant à l’occasion d’un voyage dans le Suffolk. Sebald raconte donc sa longue marche le long de la côte, dans les petites villes d’une région qui semble alors sinistrée (j’imagine que cela a dû changer depuis).

Sebald ne semble ni un touriste ni un randonneur, pas de préparation, de guide ou de pittoresque, mais ce qui ressemble à une longue errance d’un lieu à l’autre, lieu appelant chacun des histoires anciennes, plus ou moins décousues, mais avec cependant d’indéniables fils conducteurs (comme les vers à soie ou les dissections).


Et sans doute cela expliquait-il, comme le pensait Janine, l’irruption si hautement significative du sable dans tous les ouvrages de Flaubert. Le sable y régnait en maître. Les rêves de Flaubert, disait Janine, étaient traversés sans cesse par de formidables nuages de poussière qui se soulevaient au-dessus des plaines desséchées du continent africain, se déplaçaient vers le nord, à travers la Méditerranée et la péninsule ibérique, et retombaient à un moment ou à un autre, comme une pluie de cendres, sur le jardin des Tuileries ou sur un faubourg de Rouen, ou encore sur une petite ville de Normandie, et se frayaient passage à travers les plus minces interstices.


L’ensemble m’a fait penser tout à la fois à certaines pages d’Arno Schmidt (dans cette recherche sans fin d’érudition) et à Olga Tokarczuk, notamment aux Pérégrins, pour son caractère décousu et construit.

Il baigne sur tout cela un climat de déréliction, de mélancolie, de lente destruction, due aussi bien au temps, aux éléments qu’à la politique humaine ou à l’histoire compliquée de l’Europe et de l’auteur. Le passé file, détruit, oublié, méconnaissable et on peut bien marcher en cherchant ses traces, celles-ci sont de plus en plus ténues.


Comme tous les autres enfants, ils apprendront à l’école le b a-ba socialiste puis exerceront un métier, deviendront cheminots, vendeuses, serruriers ou comptables. Mais ils ne trouveront personne autour d’eux pour partager les souvenirs qui ne cesseront de les hanter, comme autant d’ombres spectrales, jusqu’aux jours d’aujourd’hui.


Il y a d’anciennes grandes demeures. Les souvenirs des bombardements et des combats aériens des deux guerres mondiales. Une nouvelle de Borges dans le recueil Fictions. Les chambres d’hôtel plutôt sommaires où on ne dort pas très bien. La vie de Conrad. La cour de Chine au XIXe siècle. L’image récurrente du labyrinthe. Le portrait de plusieurs interlocuteurs à qui Sebald rend visite. L’Irlande. Un médecin du XVIIe siècle. Chateaubriand.

Des photographies en noir et blanc, la plupart prises par l’auteur, illustrent régulièrement le texte.

Il y a un charme indéniable qui se dégage de ce livre envoûtant, où il n'est question, après tout, que du temps qui passe et entraîne tout avec lui.

 

P. Koninck, Vue panoramique avec une ville, 1655, Thyssen Bornemisza

Il faisait inhabituellement sombre et lourd l’après-midi, lorsque, après une halte sur la plage, je grimpai sur la lande solitaire qui domine Dunwich. L’histoire géologique de cette triste contrée est étroitement liée non seulement à la nature du sol et aux influences du climat océanique mais aussi, de manière beaucoup plus déterminante, au refoulement et à la destruction, poursuivie durant des siècles et même des millénaires, des épaisses forêts qui, après la dernière ère glaciaire, se sont propagées sur la totalité des îles britanniques.

 

Lorsque quelque fragment de cette sorte émerge des profondeurs par suite d’un glissement dans la vie de l’âme, on pense toujours qu’on va pouvoir se rappeler. Mais en réalité, on ne se rappelle évidemment pas. Trop d’édifices se sont écroulés, trop de gravats se sont accumulés, insurmontables sont les dépôts sédimentaires et les moraines.

 

J’ai découvert Sebald il y a plusieurs années, quand une amie m’avait prêté un de ses livres, Les Émigrants. Je lui ai emprunté de nouveau, je vais pouvoir le relire !

 

11 commentaires:

keisha a dit…

J'ai lu récemment le Emigrants, et beaucoup aimé (pas de billet) mais je compte revenir à cet auteur, j'aime bien cette ambiance pas forcément gaie, cette façon de raconter...

nathalie a dit…

Je veux relire Les Émigrants. Et puis ensuite Austerlitz. Oui, il y a énormément de charme, c'est imperceptible, mais indéniable, j'ai corné plein de pages de mon livres, plein de citations, une balade mélancolique.

miriam a dit…

Trouve la référence dans les e Anneaux de Mrendelsohn il attend son tour

ysa a dit…

J'ai lu les anneaux de Saturne et je ferais bien de me rafraîchir la mémoire ! La seule impression - souvenir que je conserve c'est les sensations qu'il éprouvait en marchant le long de la mer sur une falaise il me semble. Souvenir fort malgré tout un peu comme si je m'étais promenée moi aussi mais sans la foule de pensées qui habitait le cerveau de Sebald. De Austerlitz un souvenir tout aussi impressionniste sauf quelques détails : une extraordinaire considération sur les mites

nathalie a dit…

Tu as une bonne mémoire. Il y a en effet une longue marche sur une falaise qui s'écroule et recule chaque année.
Hâte de lire les mites !

eimelle a dit…

l'univers pourrait me plaire!

nathalie a dit…

Allez, rejoins-nous sur la falaise !

Passage à l'Est! a dit…

Je pense que (tout en gardant mes distances) je vais vous rejoindre sur la falaise... on me recommande Sebald depuis si longtemps!

Nathalie a dit…

Ça doit être bien aéré, je pense que tu n’as rien à craindre.

Dominique a dit…

Les Emigrants c'est vraiment mon préféré

nathalie a dit…

Hâte de le relire !