La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 9 septembre 2021

Ne pleure pas, je suis là, je vais venir te chercher.

 André Cohen Aknin, Un lit dans l’océan, 2021, éditions Parole.

 

Le narrateur essaie de retrouver sa mère. En parlant avec elle, alors qu’Alzheimer a fait son œuvre et qu’elle n’articule plus que des sons sans suite. En essayant de retrouver la recette de la loubia – une soupe de haricots. La cuisine des juifs d’Algérie, maintenant en France.


Ses mots se répètent, se chevauchent, entrecoupés de silences et d’éclats soudains. Aucune logique. À la manière d’une musique expérimentale, inabordable au premier abord et pourtant. C’est ce qui me plaît. Et si moi-même ? A o é u u a ooo… Battements à 60. Le tempo est trop lent. Allons vers andante. Arriverai-je à lui parler dans son mode à elle ?


C’est un joli petit livre qui m’a bien plu, même si le narrateur ne m’a pas paru très sympathique. J’ai aimé les deux trames qui s’entrecroisent. Les courses chez l’épicier arabe qui donne des conseils de préparation, qui téléphone à la tante, au cousin, qui suggère les légumes, les épices, la cuisson. Les essais ratés pour faire la soupe et les interrogations sur la façon de faire. Les mystères quand la cuisine n’est pas transmise. Dans l’intervalle, les dialogues syncopés avec la vieille dame, comme une mélodie.

Les deux chemins ramènent vers les souvenirs de famille, d’enfance, de repas. Tel plat préparé pour le shabbat. La visite de telle tante, la vie à Alger, la musique arabe. Tout cela est très bien ficelé, donne envie d’écouter de la musique et surtout de cuisiner, de goûter à ces plats méditerranéens que je ne connais pas (qui est le jeune homme, beau, cultivé et gentil, qui me fera découvrir ces bons petits plats ?).

J’aime la façon dont les souvenirs et le récit d’enfance de la mer s’entrecroisent aux évocations du présent. Comme c’est parfumé et mélodieux !

 

Le début

J’adore les haricots ! Les gros, les petits, les longs, les courts, les froids en salade, les chauds à l’ail ou sucrés à la manière des dorayakis japonais. J’aime surtout quand ils fondent dans la bouche après avoir mijoté toute une nuit. Il m’arrive de rêver de tafina, une sorte de cassoulet à la mode algérienne qu’on servait le samedi midi, le jour de chabbat.

 

La tafina pouvait être aux pois chiches ou au blé. Celle de Pessah, la Pâque juive, à base de petits pois et de fèves, était servie avec des morceaux de galettes sans levain. Moi, je préférais celle aux haricots avec son pâté de viande de bœuf roulé dans un boyau qui ressemblait à une grosse saucisse. Il y avait aussi les boulettes. Surtout les boulettes ! Dodues et moelleuses, avec un goût prononcé de cumin et de poivre rouge. Y ajoutait-on du miel ? Une sensation de sucré m’envahissait, même quand je goûtais les œufs brunis par la cuisson. Ce plat portait les senteurs des femmes de la maison.

 

Dufy, La console jaune aux deux fenêtres, 1948 Nice BA

Mireille Barbieri, À fleur de pierre, 2021, éditions Parole.

 

À l’écart d’un village du Sud de la France, Anna rend visite à la chapelle qu’elle a élue pour son refuge annuel. Las. Tout est bouleversé par l’arrivée d’un artisan chargé de réaliser les nouveaux vitraux. Elle ne se sent plus chez elle. À moins que ces quelques semaines parviennent à établir un lien, fragile mais humain, entre Anna qui est un peu sauvage, le maître verrier, taiseux et traumatisé, le vieux Firmin, le petit Éric, Georges et le curé.

Je suis entrée dans ce roman avec méfiance, soupçonnant le roman attachant, où chacun révèle ses failles et s’ouvre à l’autre, et se rencontre, et entrevoit une possibilité de se reconstruire, selon un schéma bien connu et un peu agaçant. Alors, ç’en est, indubitablement. Heureusement, il y a des passages très réussis, plus en chair et plus consistants : le début, avec la scène de la clé, le portrait d’une vieille maître verrière, l’évocation de la postière comme un petit morceau de vie, les biquettes de Firmin, surtout la description de l’architecture et de la lumière de la chapelle, chapelle qui constitue à elle seule un personnage. Allez, il faut ajouter du concret et tailler un peu dans les grandes tirades et hop, je partirais.

 

Je remercie les éditions Parole qui m’ont envoyé ces deux livres.


6 commentaires:

keisha a dit…

Donc il te faut un guide cuisinier, quoi!Hélas je n'ai pas sous la main (j'ai eu, pour le gratin dauphinois, le vrai!)

nathalie a dit…

Bon je veux bien changer d'ère géographique, même si l'atout séduction du gratin dauphinois est un peu différent.

Dominique a dit…

j'ai de plus en plus de mal avec Alzheimer, j'ai soigné tellement de patients atteints que je frise l'overdose malgré l'intérêt que présentent certains récits
je passe mon tour là

miriam a dit…

olala la tfina!!!!

nathalie a dit…

Comme je comprends ! J'avoue m'être plus intéressée à la soupe de haricots mais la maladie est également bien présente dans le roman.

nathalie a dit…

Cet enthousiasme !