La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 11 janvier 2022

La Révolution française marchait alors comme une fièvre putride et elle allait entrer dans la période aiguë du délire.

  

Jules Barbey d’Aurevilly, Une histoire sans nom, 1882.

 

L’histoire commence juste avant la Révolution (si honnie de l’auteur), dans une petite ville des Cévennes, quand un capucin arrive pour prêcher le Carême. Il est hébergé par Madame de Ferjol et sa fille Lasthénie. L’histoire se concentre ensuite sur ces deux-là, à partir du moment où Lasthénie tombe malade. Le roman se concentre surtout sur la relation mère-fille et sur le manque de confiance entre les deux. La mère est veuve, en grand chagrin de son mari, très attachée à l’honneur et pieuse. La fille aurait besoin de tendresse. Le roman s’achève dans un château du Cotentin, mais je ne vous en dirai pas plus.


Parti !...

Comme la fumée de ma cuisine, interrompit Agathe, et sans faire plus de bruit ! » Et c’était vrai. Il était réellement parti. Mais ce que les dames ne savaient pas, ce que la vieille Agathe ignorait, c’est que telle était la coutume des capucins, de s’en aller ainsi des maisons qui leur avaient été hospitalières. Ils s’en allaient comme la Mort et Jésus Christ viennent. Ils viennent – disent les Livres Saints – comme des voleurs… Eux, ils s’en allaient comme des voleurs.


Pas évident d’ailleurs de parler de ce roman sans dire de quoi il retourne. Le mot fatidique est cité en passant vers la fin, à propos d’autres femmes – au lecteur de comprendre qu’il s’applique peut-être à la jeune fille avant d’en avoir la tardive confirmation.

Parlons donc du ton de Barbey. Encore une fois, quel talent ! Cet auteur, aux convictions royalistes, catholiques et étroitement antirévolutionnaires, n’assène pas son propos, mais utilise ses certitudes comme une matière romanesque à part entière. De plus, il s’en sert d’une manière particulièrement retorse – on ne peut pas dire qu’il sert ses convictions. Sa fine connaissance des pratiques catholiques nourrit le récit d’une religion très effrayante. Nous ne sommes paradoxalement pas éloignés d’un roman anticatholique. Dans une langue un peu étouffante et alambiquée, il campe un huis-clos psychologique où les sentiments sont déviés par des convictions et par la morale. La relation entre la mère et la fille se désarticule progressivement, sans qu’un mot sans prononcé et le sens file entre les mains du lecteur.

Il y a aussi une petite touche de surnaturel normand.

 

G. Démarest, Le Voyage in extremis, XIXe, Rouen BA

Lasthénie résorba ses pleurs ; et les deux aiguilles reprirent leur mouvement dans le silence, qui recommença.

Scène bien courte, mais menaçante ! Elles venaient de se pencher sur le bord de cet abîme qui les séparait – le manque de confiance – et elles ne s’en dirent pas davantage ce jour-là… Cruel silence qui revenait toujours !

Il s’immobilisait entre elles, ce silence. Or qu’y a-t-il de plus triste et même de plus sinistre qu’une vie intime dans laquelle on ne se parle plus ?

 

Barbey d'Aurevilly sur le blog :

Les Diaboliques
Un prêtre marié

 

 ADDENDUM ACTUALITÉ : J'ai rangé mes romans !!! 


13 commentaires:

  1. Récemment à la bibli une lectrice a parlé de l'auteur, qu'elle avait lu pour la Normandie, d'ailleurs, et elle avait aimé sa lecture.
    J'ai cherché à en savoir plus sur ce drôle de prénom, et appris qu'il existe un syndrome de lasthénie de Ferjol!

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    1. Exact ! Syndrome nommé à partir de ce personnage. Barbey aime les noms un peu rares.

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  2. Il faudrait que je m'y mette je n'ai jamais lu l'auteur

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    1. Le chevalier Destouches est son titre le plus connu, il faut que je le relise.

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  3. je n'ai guère lu l'auteur alors je vais noter celui là mais si son affreuse misogynie m'insupporte un rien

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    1. Ah ça... on l'aime pour son côté malsain !

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  4. Félicitations pour le rangement de ta bibliothèque ! Bon, je suis déçue, j'ai une édition Quarto qui regroupe des romans de Barbey d'Aurevilly, mais celui-ci n'y est pas. As-tu lu "l'ensorcelée" ? On y retrouve aussi du surnaturel normand, comme tu dis (et il est surtout très très bon !).

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    1. Je n'ai pas lu L'Ensorcelée (sauf s'il fait partie du recueil des Diaboliques, mais ça ne me dit rien). J'ai lu celui-ci en numérique, si tu as une liseuse, tu peux le télécharger gratuitement.

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    2. Non, "L'ensorcelée" est un titre à part (bien qu'assez court). J'ai "Les diaboliques" dans mon anthologie, mais j'ignorais qu'il s'agit d'un recueil de nouvelles.
      Et non, pas de liseuse... j'essaierai de le trouver d'occasion en bouquinerie..

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  5. Entre toi et Ingannmic, vous allez peut-être réussir à me faire lire cet auteur, plutôt caché par Hugo, Balzac et Zola dans mon étagère mentale du XIXe siècle.

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  6. Il fait partie des auteurs que je voudrais découvrir. J'ai également Prosper Mérimée et Hippolyte Taine dans cette catégorie des "A lire". Merci pour cette jolie invitation :-)

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    1. C’est assez différent. Je le rapproche un peu de Huysmans pour son rapport compliqué au christianisme et de Maupassant pour le côté normand, surnaturel, psychologique.

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