La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 8 janvier 2022

Museon Arlaten

 

Reprise des visites touristiques. Aujourd’hui, étape au Museon Arlaten.

Ce musée situé à Arles est consacré à l’ethnographie de la Provence. Il a été fondé par Frédéric Mistral en 1896. Le XIXe siècle est le temps de l’industrialisation, de l’exode rural et d’une certaine uniformisation des modes de vie, avec l’extension de l’usage du français, et Mistral veut constituer une sorte de conservatoire de la Provence. Les dons affluent pour soutenir son œuvre.

Cette initiative s'inscrit dans un mouvement plus large : d'abord dans les pays d'Europe du Nord avec des musées d'ethnographie, création en 1878 du musée d’ethnographie du Trocadéro, activité de Georges Henri Rivière qui fonde en 1937 le musée national des arts et traditions populaires, apparition de plusieurs musées dits de société (vous en connaissez peut-être certains, comme le musée dauphinois créé en 1906). Tout cela est cohérent !

Le lieu s’endort après 1970 : manipulé par l’idéologie pétainiste, ringardisé par les 30 Glorieuses et la modernisation...  Le musée a été fermé 12 ans pour travaux et il a rouvert en mai 2021. J’y étais ! (évidemment)

Et l’endroit est super.

(les salles sont très bien, mais l’escalier fait mal aux yeux) (et les cartels/écrans sont très améliorables)


Le parcours muséographique suit deux fils : l’ethnographie de la Provence, toujours, avec la présentation d'objets intéressants et/ou étonnants, et l’histoire du musée, avec la reconstitution de ses accrochages historiques. Le musée parle clairement aux nostalgiques, à ceux qui ont connu les musées d’avant, ou à ceux, plus nombreux, qui ne les ont pas connus, mais font comme si. C'est plutôt intéressant et à mettre en rapport avec la présentation que le Mucem consacre à la Méditerranée.
Les grands dioramas (la Visite à l'accouchée et la Veillée) ont été imaginés par Mistral dans les années 1900-1910 à partir de ses souvenirs d'enfance. Des créations spectaculaires avec des mannequins, des vêtements, des objets, une véritable mise en scène se présentant comme une reconstitution.

Certaines salles sont consacrées au travail des champs, à l'élevage, à la vie de Mistral, à la langue provençale, aux marins (du Rhône et de la Méditerranée), etc. Cohabitent les objets d'art et les objets du quotidien, les représentations, les matériaux nobles et les matériaux populaires.

La Tarasque : l'animal défilait à travers la ville de Tarascon lors de la procession en l'honneur de Sainte Marthe, portée par les hommes dissimulés à l'intérieur.


Les diverses incarnations du christianisme : tableau du XVIIe siècle avec les Pénitents blancs et une série de boîtes vitrées, fabriquées entre le XVIIe et le XIXe siècle, comme autant de petits lieux de culte portatifs (souvent produits dans les monastères qui les vendaient). Ici un Christ aux outrages en carton, papier, mie de pain, cire et tissu. Peu de ces objets ont été conservés en raison de leur extrême fragilité (mais j'ai souvenir que Stendhal dans La Vie d'Henry Brulard mentionne ces objets de dévotion réalisés uniquement avec du carton). Je les trouve assez fascinants.

Boîte vitrée illustrant la vie quotidienne d'une dominicaine : la prière dans la cellule (carton, verre, céramique, tissu, XIXe siècle).

Reliquaire de Saint Jean-Baptiste : reconstitution d'un autel et d'une église baroque. Toutes les petites volutes sont en carton couvert de peinture dorée !!! De la cire pour les figurines, des fils de soie... des matériaux à la fois nobles et fragiles. Je pense que la réalisation elle-même de l'objet était considérée comme un acte de dévotion. L'objet permet ensuite de constituer un petit support à la prière intérieure. À noter que le musée expose un petit nécessaire pour fabriquer un reliquaire de ce type.

Le musée présente également des crèches et des objets attestant la longue présence des juifs en Provence.

Il y a toute une vitrine consacrée aux instruments de musique, avec des vidéos qui permettent de connaître le son qu'ils produisaient.

La salle consacrée au costume et à l'arlésienne s'inspire de la muséographie aménagée dans les années 1940. C'est un moment où le costume "traditionnel" ou "folklorique" est revalorisé, mais les éléments de costume sont malheureusement souvent vus comme étant figés (on prend pour éternel des choses qui sont en réalité assez récentes). C'est aussi le temps des identités régionalistes, dans des interprétations politiquement discutables.
Cet accrochage est particulièrement intéressant, car le conservateur de 1940 s'est inspiré d'un tableau de 1780 comme s'il décrivait une vraie réalité alors que le tableau a clairement une vocation publicitaire. Je vous parle ICI de ce tableau. Il faut avouer que la représentation est particulièrement parlante.

La vocation touristique de l'arlésienne ! L'exposition traite uniquement de la première moitié du XXe siècle alors qu'il aurait été clairement possible d'ajouter un truc sur le tourisme provençal actuel (par exemple sur la mode des photographies de mariage chinois devant les champs de lavande ou sur le revival des diverses cavalcades).

La muséographie des années 1950-1970 s'inspire des travaux de George-Henri Rivière et vient surtout après la Seconde guerre mondiale. Il est malvenu de mettre en avant les archétypes des peuples comme s'ils dataient de toute éternité. Le discours ethnographique cherche à sortir des identités régionales. Les vitrines présentent donc ainsi les objets en rapport avec l'élevage des taureaux et des chevaux. Elles ne sont pas dénuées de mystère et de poésie, je trouve.

Ne nions pas que la partie contemporaine est un peu mince. Une vague évocation des gitans et des ateliers de la SNCF, bon. On est dans la Provence rurale et disparue, comme si le sujet n’existait plus de nos jours, ou comme si, du moins, on ne savait pas comment en parler. Je repense à l'excellente exposition sur l'aménagement du delta du Rhône dans les années 1960-1970, autour de 3 volets : le volet touristique avec La Grande Motte, le volet touristico-environnemental avec le Parc naturel régional de Camargue et le volet industrialo-portuaire avec Fos-sur-mer.

C’est l’écueil commun de ce genre de musée. Ce n’est pas une raison pour bouder son plaisir. Comme vous le voyez, j'y ai passé un certain temps et je me suis régalée !


Et comment on y va ? Foncez à Arles ! Peu de villes ont autant de charme (mais évitez juillet-août).



9 commentaires:

  1. Mouais, mais j'attendais une photo de l'escalier, dis donc!

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  2. Grand merci pour cet article détaillé. J'aime beaucoup Arles, au point que j'ai envisagé de m'y installer. Je l'ai aimé à chaque saison ( même l'été avec les Rencontres de la photographie ). Hâte d'y retourner et de découvrir ce musée.

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    1. Pense aux moustiques : aucun regret à avoir ! Même si je suis d'accord : une des villes les plus charmantes de France.

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  3. Bien envie de retourner à Arles! merci pour la visite

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    1. Bientôt la belle saison, ce sera parfait.

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  4. Comme Keisha, je m'attendais à une photo de l'escalier (juste sous mon commentaire il y a ton petit texte sur les commentaires modérés via google, et ça me fait penser que tu as peut-être développé une aversion pour les escaliers en photo?).
    A Budapest, on a(vait) un musée d'ethnographie (actuellement perdu dans les limbes d'un grand projet de quartier des musées) mais, comme dans pas mal d'autres pays de la région, on a aussi beaucoup de musées de plein air sur le modèle du skansen.
    "mettre en avant les archétypes des peuples comme s'ils dataient de toute éternité" - phénomène aussi récurrent dans ma région et c'est vrai aussi dans la littérature un peu plus ancienne (et dans certains discours politiques d'aujourd'hui).

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    1. Les musées d'ethno sont nés dans le Nord (en Suède je crois, j'en ai visité en Finlande aussi) au XIXe, ça ne m'étonne pas qu'il y en ai en Hongrie. Ils ont été vraiment instrumentalisés par les régimes nationalistes et aujourd'hui on assiste à un certain renouveau, entre la restauration d'Arlaten et le Mucem par exemple (je ne les connais pas tous). Il est vrai que les vieux musées sont aussi pleins de charme suranné.

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