Herta Müller, La Bascule du souffle, parution originale 2009, traduit de l’allemand par Claire de Oliveira, édité en France par Gallimard.
Au début du roman, Léopold, le narrateur, se décrit comme un jeune homme qui doit quitter sa famille et sa ville et qui ne le regrette pas vraiment. Il est homosexuel, est contraint de le cacher, a besoin d’air. Sauf que l’on est en 1945. C’est un Allemand de Roumanie et les Russes organisent une vaste déportation avec camps de travail.
Je porte des bagages qui ne font pas de bruit. Depuis bien longtemps, mon bagage de silence est si profond que je ne pourrai jamais tout déballer. Quand je parle, je ne fais que m’emballer dans un autre bagage de silence.
Ce sera donc le récit de la vie ou de la survie dans ce camp perdu au milieu de la steppe russe. Les prisonniers sont mis aux travaux forcés et souffrent en permanence de la faim ainsi que de plusieurs maladies. Le narrateur y évoque ses compagnons de détention, les morts nombreux, les traumatisés honteux et ses propres stratégies de débrouille.
Je mange un petit somme, puis je me réveille et je mange le somme suivant. Un rêve est pareil à un autre, on l’avale. Le rêve nous accorde la grâce de la boulimie, et c’est une torture.
Voici que les objets et les abstractions prennent vie dans l’esprit de Léopold et sous la plume de Müller. L’ange de la faim, un être vivant avec qui il faut ruser, un adversaire ou un compagnon avec qui vivre. Le ciment, cet être fourbe. Les étoiles. Les outils comme une part de soi. Les produits chimiques travestis dans des odeurs séduisantes. Cette imagination l’aide à s’évader mentalement, à s’abstraire, à tenir loin de lui le désespoir et la faim, à s’accommoder du sentiment d’avoir été oublié de tous.
La peinture de la faim y est absolument saisissante, malgré un ton très sobre et froid.
Le retour sera décevant.
Ensor, Squelettes se disputant un hareng saur, 1891 Musées royaux Bruxelles |
Comment errer de par le monde quand on n’a plus rien à dire de soir, sinon qu’on a faim. On n’a plus que ça en tête. Le palais est plus grand que la tête, sa coupole haute et sonore atteint le haut du crâne. Quand le palais ne supporte plus la faim, il tiraille comme la peau d’un lièvre fraîchement dépouillé qui serait tendue derrière le visage pour y sécher.
Aujourd’hui encore, je dois montrer à cette faim que j’y ai échappé. C’est tout bonnement la vie que je mange, depuis que je n’ai plus le ventre creux. Quand je mange, je m’enferme dans le goût des aliments. Depuis mon retour du camp, donc depuis soixante ans, c’est pour ne pas mourir de faim que je mange.
Le billet de Passage à l’Est qui regrette un sentiment de lassitude et de vide.
Le billet de Lire et Merveilles qui note : « témoignant de ressources mentales pour survivre, qui sont bien plus que de l’ironie, une pensée qui concentre et décentre à la fois l’esprit. C’est la bascule du souffle, garder son souffle, ne pas basculer. »
J'ai aussi lu La Convocation (deux fois). Je compte relire Le Renard était déjà le chasseur et après j’attaquerai peut-être d’autres titres.
Une autrice. Quatrième et dernier billet pour les feuilles allemandes. Merci à Fabienne, Eva et Patrice, qui nous permettent de découvrir de nombreux livres de la langue allemande ! J'ai encore noté plein de titres cette année.
Hier j'ai regardé ce que la bibli avait, mais non, un peu tard pour Les feuilles allemandes;..
RépondreSupprimerAh à une semaine de la fin du mois, c'est sûr, pas évident de s'organiser.
Supprimerje l'ai chroniqué il y a quelques années et c'est je crois le roman que je préfère de l'auteur, certes c'est propice au cauchemar le sujet n'est pas léger mais quelle force dans le récit
RépondreSupprimerOui je suis d'accord, le récit de la faim est incroyable. C'est une littérature puissante.
SupprimerMerci de m'avoir aussi lue! Mon billet date de 2011... j'avais quand même aussi noté la beauté de l'écriture! Je n'ai aucun doute que je bénéficierais d'une seconde lecture.
RépondreSupprimerOui c'est une écriture très particulière.
SupprimerJ'ai un peu de mal avec Herta Müller, j'ai essayé il y a quelques années mais le livre me tombait des mains . Peut être réessayer, mais tu ne m'encourages guère avec ce billet.
RépondreSupprimerSon écriture n'est pas facile, il y en a une bonne partie qui nous échappe.
SupprimerJ'ai lu "Animal du cœur" la semaine dernière mais c'était une lecture éprouvante. Je ne suis pas certaine de récidiver avec Herta Müller...
RépondreSupprimerLecture exigeante, il faut s'y prendre à plusieurs reprises si on y tient.
SupprimerQuelle lecture. Et saisissante cette peinture de Ensor. Ce livre me laisse un souvenir marquant. Je n'avais lu que Le renard était déjà le chasseur de l'autrice, je me rappelle le malaise, il faudrait peut-être que je relise aussi. Merci pour le lien.
RépondreSupprimerLa peinture m'a semblé tout à fait adaptée. Je compte relire Le Renard, nous verrons bien.
SupprimerJe me souviens bien de cette lecture, elle est marquante ! Du coup j'ai relu ce que j'en en avais pensé : très admirative du style de Herta Müller, j'avais trouvé qu'il y avait une telle froideur dans ce récit qu'on restait à l'extérieur, horrifiée mais à distance.
RépondreSupprimerJe comprends, c'est même une bonne façon de caractériser son style. Froid et étrange.
SupprimerJe suis un peu comme Miriam, j'avais essayé de lire un de ses livres il y a quelques années, mais j'avais eu du mal avec l'écriture. En tout cas, encore merci pour cette participation aux Feuilles Allemandes, très heureux que ce mois thématique te permette de faire de belles découvertes ! Patrice
RépondreSupprimerJ'ai encore un bon stock et en plus j'ai noté plusieurs titres... c'est vraiment un mois riche en découverte pour tout le monde !
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