La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 22 novembre 2022

C’est aussi le portrait de mon désarroi devant cet autoportrait.


Saša Stanišić, Origines, parution originale 2019, traduit de l’allemand par Françoise Toraille, publié en France par Stock.

 

C’est autobiographique. Le narrateur raconte… non pas sa vie, mais un kaléidoscope foutraque de ses origines. Cela commence par la réponse impossible à apporter à un formulaire administratif. Puis le voyage dans le village de la grand-mère où il est question de dragons. L’enfance à Višegrad, dans un pays qui n’existe plus, la Yougoslavie. La guerre et la fuite donnent lieu à quelques brèves lignes pudiques. La jeunesse à Heidelberg, Yougo parmi les autres, apprenant l’allemand et les humiliations, les meubles récupérés et la littérature. Tout cela entremêlé avec la grand-mère qui perd la mémoire, doucement, et à qui le narrateur imagine une histoire, encore de dragons. La grand-mère qui se renferme peu à peu dans une époque rêvée ou disparue, que le narrateur essaie de rejoindre par les mots et l’écriture.


Cette histoire commence avec un paysan nommé Gavrilo, non, c’est une nuit de pluie à Višegrad, non, c’est ma grand-mère saisie de démence, non.


Il y a plusieurs débuts, comme il y a plusieurs fins, parce qu’il est difficile de parler de soi, parce que les origines se fondent et se diluent, et que l’on reprend sans cesse la plume. Parce qu’à l’heure où l’extrême-droite remporte les élections et où les origines sont brandies, il est important de réaffirmer la primauté du récit de soi. Parce que ces vieux attachants dans leur montagne ont aussi les portraits de criminels de guerre serbe accrochés dans leur cuisine. Parce que la mère n’ose jamais vraiment parler d’elle, par peur des menaces ou des insultes. Alors, les origines, oui, mais lesquelles et pourquoi ?


Le monde est plein de Yougoslaves fragmentés comme nous le sommes, eux et moi. Les enfants des réfugiés ont depuis longtemps des enfants à leur tour qui sont Suédois ou Néo-Zélandais ou Turcs. Je suis un fragment égoïste.

La littérature a du mal à recoller les morceaux. Je redonne vie à ce qui est intact et j’enjambe ce qui est brisé, je décris la vie avant et après le bouleversement, et dans la réalité j’oublie les anniversaires et je néglige les invitations aux mariages.

Je ne rends ni la guerre ni l’éloignement responsables de ce que je suis devenu étranger à ma famille. Je glisse les histoires entre nous comme pour franchir la distance.


Je note l’évocation enthousiaste de l’équipe de foot de Yougoslavie, composée des meilleurs joueurs de toute les minorités et religions, les censures et les montages du régime de Tito, les associations des anciens de Yougoslavie qui se retrouvent en conférence pour parler du bon vieux temps. Je retiens surtout le portrait de tous les camarades d’école, de leurs traumatismes, de leurs défaites et de leurs réussites.

Le ton est léger et joueur, plein de poésie et de tendresse aussi. C’est un beau roman, plein de créations, d’espoir et d’humour.

Estes, Nedick's, 1970 Thyssen Bornemisza
 

Oskoruša, c’est un joli nom. Pas vrai. Oskoruša, c’est plein de sonorités rudes et malgracieuses, aucun rythme, une succession de noms bizarres. Rien que le début : Osko – à quoi ça ressemble ? Qui parle comme ça ? – et ensuite, la chute sur cette fin sifflante : ruscha. Dure et slave comme le sont en fin de compte les terminaisons dans les Balkans.

Je pourrais me contenter de ça, on comprendrait peut-être dans ce que je dis les paroles de quelqu’un qui est originaire des Balkans, rudes terminaisons slaves ? Bien sûr, ces Slaves avec leurs guerres et leurs manières.

Seulement cette image n’a aucun sens. Que doit-on se représenter sous l’expression rudes terminaisons slaves ?

Le passage est un peu long, mais il illustre bien l’humour et l’ironie du narrateur, ainsi que son affection pour les jeux de langue. Et puis on voit sa capacité à se placer du point de vue du Yougoslave, mais aussi de l’Allemand qui entend des sons bizarres et qui essaie de leur attribuer un sens.

 

J’ai sur mes étagères Avant la fête du même auteur.

Bon pour les feuilles allemandes, c'est déjà le troisième billet !

 




 

8 commentaires:

keisha a dit…

Bravo pour les feuilles allemandes; j'en aurai un, histoire de participer quand même; il aurait fallu Wohlleben, bestioles plantes ça aurait fait du deux en un;

Nathalie a dit…

J’avoue avoir rentabilisé mes longues heures de train en début de mois.

Dominique a dit…

j'avais lu de l'auteur un premier livre Pièges et embuches alors je note aussi celui ci

miriam a dit…

l'éclatement de la Yougoslavie est toujours un sujet de mystère pour moi! Je note ce titre mais ce sera pour les lettres allemandes 2023! j'ai encore des titres dans la liseuse.

nathalie a dit…

Ah oui je crois qu'il a eu un peu de succès.

nathalie a dit…

Oh moi aussi j'ai encore un petit stock pour l'année prochaine.

claudialucia a dit…

Ce doit être tellement éprouvant d'appartenir à un pays et puis de le voir disparaître et d'être finalement sans racines.

Nathalie a dit…

Oui et de devoir intégrer le regard des autres européens sur soi en plus. On ne se rend pas compte.