La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 15 juin 2023

À chaque époque sa « normalité ».

  

Andreï Kourkov, Le Pingouin, parution originale 1996, traduit du russe par Nathalie Amargier, édité en France par Liana Levi.

 

Une plongée dans un monde dangereux et absurde.

Victor, le héros, est un journaliste pas très bon, à Kiev. Il vit seul avec Micha, un pingouin (qui est un manchot en réalité). Un jour, son rédacteur en chef, qui a l’air très bien informé, lui confie l’écriture de nécrologies d’hommes et de femmes encore vivants… du moins jusqu’à ce qu’ils mettent à mourir et que les événements surviennent et s’imposent à Victor.


La vie des gens ordinaires est si ennuyeuse, les distractions sont devenues hors de prix. C’est pour cela que les pavés volent bas…


Je l’avais lu à sa sortie en France, mais n’en gardais aucun souvenir. Je suis donc très contente de cette relecture. Victor est un homme à qui il arrive des choses, mais qui semble peu agir de lui-même, malgré quelques initiatives. Il vit dans une Kiev étrange, soviétique et corrompue, dangereuse, où les règlements de compte suivent les enterrements et où tout le monde peut trouver normal d’avoir à se planquer dans une datcha durant un certain temps.


Le pingouin fixa d’abord la tasse de thé, puis Victor, qu’il examina d’un regard pénétrant, comme un fonctionnaire du Parti bien aguerri.


C’est un drôle de monde.

Dans cet univers, le pingouin est un être mystérieux et attachant, silencieux et solitaire, un peu neurasthénique, mais aimant les crevettes et confiant dans cet humain (d’ailleurs, petite pointe de déception de ma part à la fin du livre, mais bon). Il étonne et suscite les conversations. Bizarrement, personne ne s’en prend à lui.

De l’humour noir (j’aime notamment la reprise récurrente de « Micha, pas le pingouin, l’autre »).

Une langue sobre, peu d’introspection, peu d’attachement, le lecteur reste la plupart du temps à distance des personnages, les regardant vivre avec un sentiment de vide et d’étrangeté.

C’est un bon roman, qui se lit avec plaisir, et qui s’oublie et se relit avec autant de plaisir.

 

Aillaud, Les Pingouins, 1972 MAC Marseille


En janvier, l’hiver fut paresseux. Il se contenta de vivre sur ses réserves de neige de l’année précédente, qui recouvraient toujours le sol grâce à des gelées persistantes.

 

Le silence relatif, seulement troublé par le pingouin qui déjeunait, ramena Victor au temps où ils vivaient seuls tous les deux, tranquilles, muets, sans attachement très marqué, mais avec ce sentiment de dépendance réciproque qui créait presque un lien de parenté, comme quand on s’occupe de quelqu’un sans en être amoureux : les membres de sa famille, on ne les aime pas forcément, on les aide, on se fait du souci pour eux, mais les sentiments et les émotions sont secondaires, facultatifs. On souhaite juste que tout aille bien pour eux…

 



2 commentaires:

keisha a dit…

Oui, je me souviens l'avoir lu, sans doute au siècle dernier...

nathalie a dit…

Moi aussi. Je l'avais lu à sa sortie, mais sans aucun souvenir. Comme beaucoup d'autres personnes d'ailleurs.