La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 1 juin 2023

Le temps file comme l’eau du torrent, on ne peut rien contre.

  

Vassili Peskov, Des nouvelles d’Agafia, ermite dans la taïga, traduit du russe par Yves Gauthier, parution originale 2007.

 

Souvenez-vous de la famille Lykov, qui a passé toute sa vie dans la taïga, en dehors du siècle, pour une histoire de persécution religieuse, et que des géologues découvrent par hasard en 1978. Dans le premier volume, Peskov nous racontait l’histoire de la famille, ainsi que la façon dont elle avait réussi à survivre dans la forêt, avec des récipients en écorce, creusant des pièges, cultivant des patates, filant son chanvre pour coudre les vêtements. Il racontait aussi la vie d’Agafia, la fille, née en 1945, dans la forêt, sa tentative pour vivre « dans le siècle » et son retour à la vie sauvage.


J’écoute Agafia et Savouchkine détailler les tâches de l’été et je repense à notre première rencontre : une sauvageonne barbouillée de suite qui parlait en gazouillant, pareille à un grand enfant. C’est maintenant un être mûr qui a de l’esprit à revendre et qui s’exprime avec un sourire piqué de tristesse. La moitié ou presque des mots qu’elle emploi était alors absente de son vocabulaire.


Les articles rassemblés ici racontent cette vie. Peskov ne se rend que rarement dans un endroit aussi reculé, dépendant des hélicoptères pour faire le trajet, ne restant sur place qu’une heure ou qu’une demi-journée. Cette étrange vie d’Agafia dans un lieu tellement hostile où il est presque impossible de vivre seul – ne faut-il pas couper le bois, réparer l’habitation, disposer le piège à poisson, cultiver le potager, rentrer les patates – où chaque élément nécessaire à la vie se paie d’une charge de travail supplémentaire – oui, des poules pour avoir des œufs, mais il faut chauffer le poulailler – oui, des chèvres pour leur lait, mais il faut chauffer l’étable et rentrer les foins, etc. – où l’on dépend étroitement des ravitaillements imprévisibles, pour le sel notamment, et l’huile – mais où la cohabitation est presque impossible dans des conditions aussi dures.

Jan Mandyn, Tentation de Saint Antoine, 16e siècle Valenciennes BA dépôt à Cassel 
Le risque de la solitude.


Parole, on se croirait dans un temple. Les bouleaux se dressent muettement, sans frémir d’une seule brindille, irradiant la lumière blanche de leur écorce, parsemés de sapins et de cèdres qui se détachent sobrement de l’ensemble avec leurs sombres parures. L’antique pureté d’une terre vierge d’hommes.

(il écrit cela précisément à quelques mètres d’un homme)


Drôle d’existence.

Ici échouent ceux qui ne s’adaptent pas au nouveau monde issu de la fin de l’URSS et qui cherchent un coin à l’écart de la société, ici passent dans le ciel les satellites et les fusées, ici rôdent les ours. La fin de l’URSS, c’est aussi moins d’hélicoptères et des conflits territoriaux dans l’administration de la forêt. Cette réalité contemporaine vient percuter celle de la forêt – on ne vit jamais totalement coupé des êtres humains.

 

Nous serions bien restés là, au bord de l’eau, mais, automne oblige, le froid se fait incisif et nous allongeons le pas vers l’isba, là-haut, où tremble à la fenêtre la flamme de la bougie…

Le lendemain, à l’heure dite, l’hélicoptère viendra me chercher.

 


8 commentaires:

keisha a dit…

J'avais tellement aimé le premier volume... Agafia vit toute seule, alors?

nathalie a dit…

Pas tout le temps non, il y a des gens qui passent et qui repartent.

keisha a dit…

Tiens j'ai vu récemment une tentation ee saint antoine du même peintre, mais c'est très différent, il en aurait peint plusieurs, alors...

Patrice a dit…

J'avais vraiment beaucoup aimé le premier tome mais lu que ce second était moins bon. Tu confirmes ou tu as beaucoup aimé aussi ?

Dominique a dit…

Je viens de faire un grand ménage dans ma bibliothèque, j'ai tout trié, j'ai éliminé et comme toujours c'est l'occasion de voir réapparaitre des livres que l'on garde depuis toujours mais que l'on n'a pas relu récemment
Les deux livres sur Agafia en font partie, je me souviens de mon premier choc de lecture après avoir lu Derzou Ouzala
Deux livres tellement touchant, tellement dépaysant qu'on ne les oublie jamais

nathalie a dit…

C'est un sujet très répandu et populaire, rien d'étonnant à ce qu'il en ait peint plusieurs.

nathalie a dit…

C'est moins surprenant, moins riche, car on prend des nouvelles d'un personnage connu alors que dans le 1er il y a toutes les explications historiques et ethnologiques. J'y ai pris plaisir mais c'est en effet un peu dispensable.

nathalie a dit…

Ah le fameux Derzou dont on me parle régulièrement sur le blog, oui oui oui, faut que je le lise aussi !