La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 16 mai 2024

Les blancs pays apprendraient l’humilité et la tolérance. Plus besoin de se dresser Grands Nègres face à eux.

  

Maryse Condé, Victoire, les saveurs et les mots, 2006.

 

Condé nous raconte l’histoire de sa grand-mère Victoire, qu’elle n’a jamais connue, une femme à la peau étonnamment claire et aux yeux gris, alors que la peau de sa mère est si noire, une femme dont elle a appris qu’elle était cuisinière (c’est-à-dire domestique), alors que sa mère est une institutrice si attachée à sa respectable bourgeoisie. Elle raconte à partir de quelques photographies et témoignages, de ce qu’elle sait de l’histoire de la Guadeloupe et de son empathie pour ses personnages.


Elle fixait l’objectif sans l’ombre d’un sourire, sans nul souci de paraître gracieuse. Son « mouchoir » à deux pointes signifiait une station inférieure. « Kité mouchwa pou chapo », quitter le mouchoir et prendre chapeau, était alors l’expression qui saluait l’ascension sociale féminine. Bref, elle détonait dans mon univers de femmes en capeline de paille d’Italie, d’hommes cravatés en costumes trois pièces de fil à fil, tous nègres bon teint.


C’est une histoire au croisé des couleurs de peau, des classes sociales, des sexes et des générations. Tout cela s’entrelace de façon compliquée, incarnant très humainement l’histoire de l’île.


Boudin de ouassous

Petits burgos aux pousses d’épinards et aux feuilles de siguine

Langouste aux mangues vertes

Porc caramélisé au vieux rhum Duquesnoy et au gingembre

Fricassée de lapin aux oranges bourbonnaises

Gratin de christophines

Gratin de pommes de cythères vertes

Gratin de bananes poto

Salade de pourpier

Trois sorbets : coco, fruits de la passion, citron

Gâteau fouetté


Une femme qui par son existence même (mulâtre, maîtresse ou servante d’un blanc béké, cuisinière de génie, illettrée) incarne une époque honnie par la génération suivante, du moins celle qui est aisée, qui se veut fière de sa peau noire, qui est très « école normale et Académie française », qui rejette le créole, mais surtout le souvenir de la misère des noirs comme une honte indélébile. Son existence est également mal acceptée par les autres et toutes ses amitiés semblent scandaleuses, prises dans le conformisme d’une petite île.

Des histoires d’amour et de sexe, d’enfance, de rancunes et d’attachements, de souvenirs qui ne passent pas. Un petit roman qui raconte avec simplicité, tendresse, prudence et talent toute l’âme humaine et toute l’histoire déchirée de la Guadeloupe.

 

À la rue de Nassau, je ne sais ce qui procura le plus de bonheur à Victoire. Retrouver Boniface ? Retrouver Anne-Marie ? Ou retrouver son antre, son domaine, son potajé ? Les marchandes qui l’avaient négligé reprirent le chemin de sa cuisine, et ce fut chaque matin un déballage de trésors. Victoire soupesait les lapines aux yeux rouges dans leur fourrure blanche, flairait les tanches et les vivaneaux. Ses doigts pianotaient, crépitaient, versaient le sel, le safran et la cardamome, coupant, désossant, parant.

 

Aurait-il été prononcé en japonais que l’effet de ce petit discours aurait été le même. Victoire ne pouvait pas le comprendre. Elle ignorait ce que signifiait les mots : « classe », « exploiteurs ». À ses yeux, les Walberg n’étaient pas des ennemis. Ni Anne-Marie ni Boniface. Elle n’osait dire qu’ils étaient ses amis. Pour employer une phraséologie obsolète, qui aurait fait bondir Jeanne, ils s’étaient toujours comportés comme de bons maîtres.

 

Seyni Awacamara, céramique 2008 collection Blachère 


Encore une fois, le roman permet de dire simplement et de façon expressive toute la complexité des appartenances et des identités alors que la tâche est si compliquée pour les historiens et les sociologues. Et c’est pourquoi je me refuse à venir dépiauter ici qui est la fille de qui et dans quelles circonstances.

 

J’étais persuadée d’avoir déjà lu Maryse Condé. À l’occasion de sa mort récente et de cette lecture, je découvre que ce n’était pas le cas et j’ai un peu honte. Je remercie donc vivement Miriam pour l'organisation de cette lecture commune. Il y a plusieurs billets sur son blog. En voici quelques-uns : La Belle créole ; Le Coeur à rire et à pleurer ; Ségou - Les Murailles de terre

Une écrivaine.

 

8 commentaires:

  1. De l'auteure je n'ai lu que Segou, il y a fort longtemps, celui dont tu parles est plus autobiographique?
    (Rick Bass est déjà sur le feu?)

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  2. Du coup, je me sens un peu honteuse aussi car je n'ai encore jamais lu Maryse Condé.

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  3. @Keisha : c'est l'histoire de la grand-mère, donc oui il s'inscrit dans les écrits personnels.
    J'ai bien avancé Bass dans le train, ça se lit bien !

    @JeLis : Rejoins le club !

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  4. Merci de signaler ce roman. Je le note pour quand j'aurai fini le tome2 de Segou.
    Merci pour les liens. Je vais commencer le billet de récapitulation dès lectures communes pour rassembler les divers billets

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  5. Mais je pensais que c'était le 20 LC , Oui, j'ai lu un livre d'elle mais je n'ai pas encore rédigé mon billet.

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  6. je viens de rédiger un billet "piqûre de rappel" pour les liens pour la lecture commune le 20 mai comme l'écrit claudialucia. C'est sur ce billet qu'il faudra coller les liens. j'ai déjà intégré le tien pour Victoire

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  7. @Miriam et @Claudia : les dates ont changé, mais j'ai d'autres projets sur le blog pour la semaine prochaine, peu importe. Ce qui compte c'est que c'était une bonne lecture.

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  8. Oui tu as raison ! Et je vois que ce roman t'a bien plu. Moi aussi je n'avais rien lu de Maryse Condé et c'est une bonne occasion de la découvrir grâce à Miriam !

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N’hésitez pas à me raconter vos galères de commentaire (enfin, si vous réussissez à les poster !).