Louis Hemon, Maria Chapdelaine (récit du Canada français), 1913.
C’est la fin de l’hiver (en avril donc) (…) dans le nord du Canada français, là où la forêt règne encore, là où on défriche les parcelles des concessions. Maria sort de l’adolescence. Elle vit avec ses parents, ses frères et sœurs, dans un endroit reculé, loin des villages et des hameaux. L’existence y est dure. Il faut défricher la terre, la cultiver, la moissonner, s’occuper des moutons et des poules, faire le pain, on n’y voit personne, toujours le même voisin, les nouvelles y sont rares… Cette année-là Maria découvre la promesse de l’amour, le chagrin, la résignation, l’espoir malgré tout.
Personne n’avait dit un mot pour le hâter ou l’interrompre ; on l’écoutait comme on écoute quelqu’un qui conte une histoire, quand le dénouement approche, visible mais inconnu, pareil à un homme qui vient en se cachant la figure.
C’est un roman assez lent, au déroulement sans réelle surprise, mais relativement court (120 pages). Il permet la description fine et documenté de ce mode de vie des paysans de la forêt, avec leurs habitudes et leurs travaux. Malgré l’indéniable parti pris de l’auteur, il n’y a aucune figure négative et l’on rencontre donc un jeune homme qui a préféré vendre sa terre pour mener une vie plus errante, entre chantiers forestiers et saisons de chasse, parce qu’il ne saurait pas se satisfaire de la répétition de la vie paysanne, tandis qu’un autre jeune homme a préféré partir travailler en usine aux États-Unis où il profite de la vie moderne. Parmi même les paysans, on trouve ceux qui aiment s’installer là où il n’y a personne pour défricher tandis que d’autres apprécient la vie de village. Voilà un talent de représenter un petit monde.
La mère Chapdelaine se tut, et soupira. Elle pensait toujours avec regret aux vieilles paroisses où la terre est défrichée et cultivée depuis longtemps, et où les maisons sont proches les unes des autres, comme à une sorte de paradis perdu.
(…) Faire de la terre – c’est la forte expression du pays, qui exprime tout ce qui git de travail terrible entre la pauvreté du bois sauvage et la fertilité finale des champs labourés et semés. Samuel Chapdelaine en parlait avec une flamme d’enthousiasme et d’entêtement dans les yeux.
Mais la vraie création de Hemon est la langue. J’ai lu le roman sans m’être renseignée sur son contexte d’écriture. J’y ai entendu le français de mes amis québécois, leurs tournures et leurs intonations, un peu forcées, un peu tirées vers une note archaïque. De fait, Hemon invente et recrée une langue québécoise paysanne, à partir de sa connaissance de la langue paysanne parlée dans l’Ouest de la France avant le XIXe siècle, telle qu’il s’imagine qu’elle a pu voyager et survivre, morceau de normand installé par-delà les mers. C’est plein de charme.
Je note que le cheval s’appelle Charles-Eugène. Il y a une charmante cueillette des bleuets.
Sandham, Le Retour de la chasse, 1877 Ottawa |
« C’est une grande perte – fit-il enfin – Tu étais bien gréé de femme, Samuel ; personne ne peut rien dire à l’encontre. Tu étais bien gréé de femme, certain ! »
Après cela il se tut de nouveau, chercha sans les trouver des paroles de consolation, et finit par parler d’autre chose.
« Le temps est doux à soir : il va mouiller bientôt. Tout le monde dit que le printemps viendra de bonne heure. »
À travers les heures de la nuit Maria resta immobile, les mains croisées dans son giron, patiente et sans amertume, mais songeant avec un peu de regret pathétique aux merveilles lointaines qu’elle ne connaîtrait jamais, et aussi aux souvenirs tristes du pays où il lui était commandé de vivre : à la flamme chaude qui n’avait caressé son cœur que pour s’éloigner sans retour, et aux grands bois emplis de neige d’où les garçons téméraires ne reviennent pas.
Le saviez-vous ? Hemon est un auteur français. Il a écrit le roman au Québec, mais la première parution se fait en France.
Je me demande si le roman ne pourrait pas être inscrit dans le programme d’Ingannmic sur les mondes du travail, pour les paysans, car on y trouve tous les noms d’outils et descriptions de gestes de ce métier.
Installé dans mon téléphone, onc je pourrais le lire (mais l'appel d'autres lectures...) Intéressant ce que tu dis du vocabulaire.
RépondreSupprimerBien sûr que ça rentre !
RépondreSupprimerLe titre me dit quelque chose : il n'y a pas eu une adaptation télévisée dans les années 80 (ou fin 70) ? Quoique tu es sans doute trop jeune pour t'en souvenir... :)
Encore une découverte pour moi. Je viens de lire sur Wikipédia que ce roman a eu un succès considérable et qu'il a été réédité maintes fois
RépondreSupprimerC'est un très bon souvenir pour moi, le livre poche très très vieux n'est plus dans ma bibliothèque dieu seul sait où il se cache
RépondreSupprimermais je me souviens de l'avoir acheté au temps où un livre de poche valait 2 francs si si
@Keisha : les milliers de livres du téléphone...
RépondreSupprimer@Ingannmic : la jeunesse a Wikipedia et je peux donc te dire qu'il y a eu deux films français et deux films québécois !
@JeLis : oui c'est un standard !
@Dominique : Ah c'est une époque...
Un titre (mais pas un nom d'auteur) qui me parle aussi, pas parce qu'il y a eu une version hongroise dès 1914 (ils étaient vraiment à jour!), probablement parce que j'ai entendu parler d'un des films? Ce que tu écris sur le vocabulaire m'intéresse aussi.
RépondreSupprimerEt donc tu lis Le pélerinage? Je suis curieuse de ton avis mais je suppose qu'il faudra attendre environ 2 mois pour l'avoir.
@Passage : ah oui ils n'ont pas perdu de temps pour la traduction ! Immense succès commercial il faut dire.
RépondreSupprimerQuant au pélerinage... oui il faudra attendre septembre, j'essaie de prendre un peu d'avance.
"de même" cela a un goût particulier! de bons souvenirs de deux étés au Québec et au Nouveau Brunswick
RépondreSupprimerOui, c'est québécois, mais un peu appuyé.
SupprimerIl me semble que l'adaptation avec Carole Laure a été rediffusée à gogo. Je croyais même que c'était un feuilleton (genre saga de l'été) alors que c'était seulement un film ☺️. Étonnant cette écriture dans un parler québécois fictif!
RépondreSupprimerJe n'ai vu aucun des films, contrairement à plusieurs d'entre vous.
SupprimerBonjour, un mot au sujet de "Maria Chapdelaine" : le film le plus fidèle au roman et le plus beau (une version indépassable à mon avis) est celui de Sébastien Pilote, (Québec 2021). Il y a la lenteur, la pudeur, la rudesse du travail et de l'époque, les magnifiques paysages, les saisons, la musique, le jeu des comédiens et la langage si bien rendu par Louis Hémon dans son roman. Malheureusement, je crois qu'il n'a pas été diffusé en France. Si vous avez aimé le roman et que vous avez la chance de voir le film, n'hésitez pas.
RépondreSupprimerDanièle B.
Merci pour votre message. J'avoue ne pas m'être du tout renseignée sur les films. Mais si je croise celui de S. Pilote, je ne le manquerai pas. Merci beaucoup.
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