John Steinbeck, Les Raisins de la colère, parution originale 1939, traduit de l’américain par Marcel Duhamel et Maurice-Edgar Coindreau.
Au début une tempête de poussière ravage les champs de maïs dans l’Oklahoma et toute la récolte est perdue. Ensuite, nous rencontrons Tom Joad.
Grand-mère prétendait que l’esprit du Seigneur vous dégoulinait de partout.
Le roman raconte l’histoire de la famille Joad, paysans de l’Oklahoma, partie sur un grand camion cueillir les fruits en Californie, où paraît-il il y a du travail et bien payé. Le désenchantement sera à la hauteur de l’espoir : en Californie les terres appartiennent à des sociétés et des banques qui mettent en concurrence les ouvriers agricoles, obligés de se déplacer de bidonville en bidonville, à la merci d’un système qu’ils ne comprennent pas. Pourtant, après le déluge, la famille se maintiendra et tiendra bon.
Le vent augmenta, glissa sous les pierres, emporta des brins de paille et des feuilles mortes et même de petites mottes de terre, marquant son passage à travers les champs. À travers l’air et le ciel obscurcis le soleil apparaissait tout rouge et il y avait dans l’air une mordante âcreté. Une nuit, le vent accéléra sa course à travers la campagne, creusa sournoisement autour des petites racines de maïs et le maïs résista au vent avec ses feuilles affaiblies jusqu’au moment où, libérées par le vent coulis, les racines lâchèrent prise. Alors chaque pied s’affaissa de côté, épuisé, pointant dans la direction du vent.
J’ai beaucoup aimé la lecture de ce gros roman (imprimé en caractères tout petits), dont la construction est très originale, avec une alternance de courts chapitres de portée générale, voire allégorique, qui expliquent au lecteur la situation et donnent la voix de l’auteur, et de chapitres plus longs, consacrés à la famille Joad et à sa lutte concrète pour tenir et avancer. L’ensemble permet de représenter la misère du monde paysan, accaparé par des entreprises pour qui la terre est un produit comme un autre et pour qui le but est de gagner de l’argent et non de nourrir une famille. L’incompréhension entre ces familles paysannes et cet univers anonyme et glacé est totale.
Mais qu’est-ce qu’il peut bien foutre avec un million d’arpents ? À quoi ça peut bien servir, un million d’arpents ?
Parmi la famille Joad, le personnage marquant est celui de la mère, Man. Toujours, elle s’efforce de tenir auprès d’elle toute la famille, d’impulser les actions et les décisions de chacun, de soutenir et de réconforter, d’insuffler sens des réalités et espoir. À cet égard, le roman montre comment les difficultés peuvent conduire les femmes à prendre plus d’initiatives.
Le ton est également marqué par une forte imprégnation religieuse, que ce soit avec un personnage de pasteur, avec les paroles d’espérance et de libération, ou avec des passages de nature plus allégorique. J’ai repensé à la trilogie de Mary Robinson qui me semble bien retranscrire cet état d’esprit.
Antoni Campañà, Traction de sang, 1933 |
D’accord, s’écriaient les métayers, mais c’est notre terre. C’est nous qui l’avons mesurée, qui l’avons défrichée. Nous y sommes nés, nous nous y sommes fait tuer, nous y sommes morts. Quand même elle ne serait plus bonne à rien, elle est toujours à nous. C’est ça qui fait qu’elle est à nous… d’y être nés, d’y avoir travaillé, d’y être enterrés. C’est ça qui donne le droit de propriété, non pas un papier avec des chiffres dessus.
Steinbeck s’appuie sur le témoignage de plusieurs personnes de la Farm Security Administration et sur ses propres notes, mais également sur le texte de Sanora Babb, Whose Names are unknown, qui n’est malheureusement pas traduit.
Cette histoire prend évidemment place dans les événements d’après la crise de 29, mais aussi d’après les grandes catastrophes écologiques et économiques de 1927.
Je retiens comme une évidence la scène terrible des enfants affamés autour du feu des Joad.
Les Joad et les Wilson fuyaient à travers La Queue de la Poêle, la contrée grise, vallonnée, ridée et gercée par les inondations antérieures. Ils fuyaient l’Oklahoma à travers le Texas. Les tortues terrestres rampaient dans la poussière et le soleil fouillait la terre et vers le soir, la chaleur quittait le ciel et la terre envoyait elle-même ses ondes de chaleur.
Rester là à se tourner les pouces et à crever de faim, c’est pas une solution. Je ne sais pas quoi faire. Un type qu’a un attelage de chevaux, il ne rouspète pas quand il est forcé de les nourrir à rien faire. Mais quand c’est des hommes qui travaillent pour lui, il se fout pas mal de ce qui leur arrive après. Les chevaux sont plus cotés que les hommes. Je ne comprends pas.
Lecture commune dans le cadre de l’année thématique sur le travail organisée par Ingannmic.
Les billets de Keisha, d'Ingannmic, de Je Lis Je blogue, de Livrescapades.
Et maintenant je compte bien relire Des souris et des hommes et attaquer les autres titres de l’auteur.
Quel texte!!!
RépondreSupprimerJe relirais bien à l'est d'Eden. Souvenirs flous...
@Keisha : jamais lu pour ma part, il serait temps que je m'y mette !
RépondreSupprimerTu as bien fait de choisir cette citation comme titre de ton billet : elle montre toute la poésie de ce beau roman.
RépondreSupprimerC'était en ce qui me concerne une relecture, mais j'ai réalisé que je n'en avais gardé que de vagues souvenirs par ailleurs trompeurs (j'ai cherché au cours de ma lecture un épisode qui, pensais-je, m'avait marqué, sans le trouver... j'ai dû confondre avec un autre livre...).
RépondreSupprimerUn texte formidable, en tous cas, avec du souffle...
@Sandrine : elle s'impose comme une évidence, mais oui, elle montre bien le côté allégorique et poétique du roman. Et l'espoir allié à la rage.
RépondreSupprimer@Ingannmic : Oui, on le lit bien, on est porté par cette énergie.
Bonjour Nathalie
RépondreSupprimerVu que vous avez apprécié Les raisins de la colère (avez-vous aussi via le vieux film de John Ford avec Henri Fonda?), je me permets de vous suggérer la lecture de En un combat douteux, où l'on retrouve la thématique des travailleurs agricoles exploités et en butte aux logiques du capitalisme à l'américaine, mais avec en plus tout un développement sur la lutte sociale (les militants professionnels qui organisent en sous-main un mouvement de grève...).
Je signale aussi, à toutes fins utiles, que je référencerai avec plaisir votre billet parmi les participants à mon challenge "Les épais de l'été" (livres d'au moins 650 pages) chez dasola. De son côté, Sibylline organise Les pavés d l'été (à partir de 500 pages). Plusieurs des participantes à votre lecture commune y figurent déjà.
Si le coeur vous en dit: logo et lien du/des challenge(s) à rajouter dans votre billet (comme elles), un p'tit commentaire pour nous en prévenir sous nos billets récapitulatifs respectifs, et hop ;-)
(s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
Bonjour @taloiducine je note la suggestion de lecture, mais ce sera tout pour ma part.
RépondreSupprimerL'alternance entre les chapitres qui interpellent le lecteur et ceux qui illustrent le propos à travers le destin des Joad est très astucieuse. On sent que Steinbeck a de l'empathie pour ses personnages (et à travers eux, les Dépossédés du Midwest). Le journaliste laisse alors la place au romancier.
RépondreSupprimer@JeLis : l’alternance fait qu’il ne reste pas uniquement dans l’émotion mais qu’il apporte aussi des clés de compréhension plus vaste et c’est vraiment habile et intéressant comme procédé.
RépondreSupprimerUn magnifique roman, et cette citation est aussi terrible que belle. J'ai découvert les photos de Walker Evans (qui a fait partie des photographes qui ont documenté cette crise du dust bowl) peu après avoir lu ce roman, elles sont elles aussi bouleversantes.
RépondreSupprimer@Sacha oh oui ces photos sont incroyables. Je les avais découvertes à ma lecture d’Agee.
RépondreSupprimerIl faudrait vraiment que je le relise!
RépondreSupprimerCe livre était dans la bibliothèque de ma mère. Je l'ai lu l'été de ma troisième (ante).Je n'ai jamais oublié!
RépondreSupprimer@Miriam : on a dû toutes te donner envie !
RépondreSupprimer@Catherine : il est très marquant oui.