La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 18 juillet 2024

Je venais de noter que j’avais le sentiment, en me trouvant à l’étranger, de rentrer chez moi.

 

 

François Fejtö, Voyage sentimental, parution originale 1935, traduit du hongrois par Georges Kassaï, Gilles Bellamyet Marie-Louise Tardres-Kassaï, traduction revue par l’auteur, paru en France aux éditions des Syrtes.

 

Le livre commence quand le train passe la frontière entre la Hongrie et la Croatie et tout le monde respire un peu mieux après le passage de la police des frontières. C’est que Fejtö connaît les rigueurs du régime. Il se rend à Zagreb, où il retrouve sa famille, famille bien vivante, mais aussi souvenirs d’enfance et de jeunesse.

(Je n’avais pas compris avant ce livre que l’Empire austro-hongrois avait institué un Royaume hongrois assez large, où l’actuelle Croatie était incluse et offrait un accès à la mer à la Hongrie, accès perdu après la Première guerre mondiale.)

C’est donc un voyage auprès de la sœur, du beau-frère, des oncles, des amis… le récit de l’enfance de l’auteur et de sa sœur, de familles aimantes ou meurtries, dans une petite classe bourgeoise cultivée, et puis un séjour sur la côte, à la découverte de la mer et des forteresses de pierre. Fejtö rencontre également quelques intellectuels qu’il interroge sur la situation du pays, le nationalisme est présent partout et les nouvelles sont inquiétantes. Ensuite il rentrera chez lui.


J’abandonne pour quelques jours mon masque d’adulte expérimenté et me plonge avec bonheur dans les douces eaux familiales. Peu importent les différences de langues et d’idées. Car qui d’autre que ces parents-là se souviendrait du jour de mon anniversaire ? Qui pleurerait ma disparition, sinon ceux de ma famille ? Certes, ils continueraient à vivre, mais au moins Oncle Ottó, en effaçant mon nom de sa liste, hocherait-il tristement la tête.


Le voici jeune homme, réfléchissant sur sa famille et sa vie, lui le socialiste un peu intello bourgeois, pas assez marxiste, peu porté sur la violence, se demandant où est sa place dans ce monde et s’interrogeant sur le rôle des intellectuels dans la société, en Hongrie et en Croatie.


Touriste de luxe désargenté en quête de plaisirs bon marché, je suis un bourgeois raté ou un faux prolétaire. En apprenant que je ne me déplaçais pas « pour affaires » mais pour me baigner dans l’Adriatique, le marchand de vin m’a jeté un regard à la fois étonné et désapprobateur, semblable à celui avec lequel les habitués des soupes populaires considèrent ces directeurs de service social bien mis qui, pour manifester leur solidarité, viennent parfois partager leur repas.


Il y a la visite au cimetière, sur la tombe de sa mère. Le récit de la mort de la mère constitue d’ailleurs le centre du livre. Il y a aussi l’évocation de plusieurs écrivains totalement inconnus de moi, qu’ils soient hongrois (Ady) ou croates (Krležaà), la riche vie des revues culturelles de la première moitié du siècle.

Les ports et les routes empruntés naguère par les Romains, les Ottomans, les Vénitiens, Napoléon et d’autres empires… l’émerveillement de la mer bleue Méditerranée.


Dufy, Train en gare, 1935, Pompidou mais déposé à la Piscine
 


Nous voici de l’autre côté de la frontière. Au soulagement que j’éprouve se mêle une certaine angoisse empreinte de solennité. J’ai eu peur, comme avant un examen scolaire ou médical. Pourtant, mon passeport, mes bagages et peut-être aussi ma conscience étaient en règle.

C’est le début.

 

Parce que la mer est bel et bien bleue, vous pouvez me croire, d’un bleu pur et mélodieux, tel que Fra Angelico a peint le ciel et tel que la chantent les poètes qui ne l’ont jamais vue. On a raison d’aller la visiter, mais on a tort de la quitter. Un cheminot siffle, le train s’ébranle lourdement, et je suis déjà plein de nostalgie.

 

Et le lien avec le Voyage sentimental de Laurence Sterne ? Les deux livres sont à quelques mètres l’un de l’autre dans ma bibliothèque et l'auteur le plus récent a nécessairement lu l’autre.



 

8 commentaires:

  1. Bon, encore un auteur que je ne connais pas. Je viens de faire des recherches sur Internet et je vois qu'il a publié beaucoup d'essais

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    1. Oui il a été journaliste et a surtout publié des essais (qui ne m'intéressent pas trop). Ceci est une oeuvre de jeunesse.

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  2. J'étais il n'y a pas longtemps dans une de ces "forteresses de pierre" (celle de Trsat), moins romantique que dans la description par Fejtő de sa visite il y a presque un siècle, mais ça m'a donné une forte envie de relire le livre.
    Si j'étais d'humeur à pinailler, je dirais que l’Empire austro-hongrois n'avait pas tant institué un Royaume hongrois assez large, qu'elle n'en avait hérité (l'union personnelle entre Croatie et Hongrie sous la personne du roi Coloman "le bibliophile"/"Könyves" Kálmán date de 1102, les Habsbourgs recueillent les deux d'un coup après 1526).

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    1. Oh tu peux pinailler à l'aise. Je n'avais aucune idée de cette proximité historique entre la Hongrie et la Croatie avant de commencer le livre alors tu vois...

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  3. Alors, pour une autre version courte du même épisode, je te conseille de consulter le chapitre 5 du Requiem pour un empire défunt, c'est un livre in-con-tour-nable d'un certain François Fejtö!
    (si j'étais encore d'humeur à pinailler, je t'indiquerais que Krleza se contente d'un seul "a")

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    1. Si on peut plus ajouter des lettres au nom des gens pas français, où va-t-on ma bonne dame ?
      Merci pour la référence !

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  4. Je dois reconnaitre que tu as tout à fait raison. Mais tout de même, pourquoi doubler le a, si anodin, si banal, et pas le k si exotique (Krlezak!) ou le z, si chic avec son chapeau haute-couture?

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    1. Tu sais, la vraie blague c'est que l'écran de l'ordinateur est assez poussiéreux et qu'il m'arrive de voir des accents ou des chevrons là où il n'y en a pas.

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