La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 14 janvier 2025

Je ne passerais pas ma vieillesse à regretter une promenade manquée au phare.

 

Antonio Tabucchi, Le Jeu de l’envers (recueil de nouvelles), parution originale 1981, traduit de l’italien par Lise Chapuis.

 

Des nouvelles qui permettent de se rendre compte du grand art du récit maîtrisé par Tabucchi.

Il n’est pas directement question de Pessoa, mais son nom agit pourtant comme un nom de code ou un signe de reconnaissance.

 

Le Jeu de l’envers. Un narrateur italien, de séjour à Madrid, apprend le décès d’une amie portugaise. Il ne la connaissait pas bien, mais elle le fascinait. Il est question d’enveloppes transportées dans le train par-delà la dictature, mais finalement il découvre quelque chose à ce sujet, mais le lecteur ne comprend pas très bien de quoi il s’agit.

 

Quand Maria do Carmo Meneses de Sequeira mourut, j’étais en train de regarder Las Meninas de Velázquez au musée du Prado. C’était un midi de juillet, et je ne savais pas qu’elle était en train de mourir. Je restais à regarder le tableau jusqu’à midi et quart, puis je sortis en essayant d’emporter, imprimée dans ma mémoire, l’expression de la figure du fond.

C’est le début de la nouvelle et du recueil.

 

De la fenêtre nous parvint le son d’une sirène, c’était peut-être un bateau qui entrait dans le port, et je sentis soudain un immense désir d’être un des passagers de ce bateau, d’entrer dans le port d’une ville inconnue qui s’appelait Lisbonne, et de devoir appeler au téléphone une femme inconnue pour lui dire qu’une nouvelle traduction de Fernando Pessoa venait de paraître, et cette femme s’appelait Maria do Carmo, elle viendrait à la librairie Bertrand vêtue d’une robe jaune, elle aimait le fado et les plats séfarades, et moi je savais déjà tout cela, mais le passager que j’étais et qui regardait Lisbonne du bastingage du bateau ne le savait pas encore, et pour lui tout serait nouveau et identique.

Pardon pour cette longue citation, mais je trouve que cette langue a un charme envoûtant.

 

Il y a aussi une lettre écrite par un homme à sa sœur qu’il n’a pas vue depuis des années. Il raconte comment il est devenu une fabuleuse chanteuse de fado en Argentine.

Une histoire qui prend place au milieu de la forêt tropicale, dans la colonie portugaise du Mozambique, avec un immense acteur de théâtre anglais qui récite du Shakespeare.

 

Mais, à ce moment-là, le duc de Cornouailles se mit à parler. Il avait une voix profonde, troublée, pleine de présages. « Let us wthdraw, t’will be a storm ! » Partons, dit-il, il va y avoir un ouragan. Et ainsi la tragédie reprit de la vigueur, les voix s’animèrent, Gloucester bondit en avant pour dire que le roi était au comble de la fureur, que la nuit avançait et que les vents étaient déchaînés. Et à ce moment-là la voix profonde de Cornouailles, qui semblait résonner dans une immense salle de château aux plafonds très hauts, cria de verrouiller les portes, dans cette nuit de tempête, pour se protéger de l’ouragan.

Vieira da Silva, La Ville au bord de l'eau, 1947 Dijon BA
 

Un adolescent, dans une grande maison sous chaleur de l’été, se rend compte qu’il arrive quelque chose à sa mère. Il en est profondément agacé, mais il préfère ne rien dire, et son malaise irrigue tout le récit – là encore le lecteur en est réduit aux conjectures, avant d’entrevoir, mais ce qui importe, c’est le récit de cette tension intérieure.

 

Mon esprit était ailleurs, il courait, affolé, derrière cette phrase qu’avait prononcée Néna, que j’avais peut-être mal comprise, que j’avais très certainement mal comprise, et dont maman m’aurait dit que je l’avais mal comprise si seulement je le lui avais demandé. Mais le fait est que je n’avais aucune envie de le lui demander.

 

Une nouvelle sur la Riviera en hommage doux-amer à Tendre est la nuit et à Gatsby de Fitzgerald.

 Une délicieuse soirée entre gens chics sur la Riviera, avec un décor japonisant – mais l’argent provient de ventes d’armes en Afrique.

Un rendez-vous en train, manqué.

Un vagabond poète.

 

De Tabucchi, j’ai également lu - deux fois - Pereira prétend, que je vous conseille vivement.

Et maintenant, comme une envie de prendre le train jusqu’à Lisbonne.


Ce sont encore de bonnes nouvelles pour Je lis, Je blogue.





9 commentaires:

  1. Voilà une invitation au voyage littéraire. Je ne crois pas avoir déjà lu Tabucchi. Je note Pereira prétend. Pour info, le roman a été adapté en BD. Merci pour cette nouvelle participation aux Bonnes nouvelles.

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    1. Tu vas tellement vite à tout noter !
      C'est un excellent écrivain, je vais sûrement continuer à le lire.

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  2. Ca pourrait me plaire, ça.. à retenir pour l'année prochaine ! Et je vois que tu lis McKay.. je viens de finir Retour à Harlem (je prépare le Black History Month :)

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    1. Je le lis dans une optique marseillaise pour ma part, mais je lirai ton billet avec intérêt. C’est un roman surprenant.

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  3. j'ai lu Tabucchi mais toujours avec difficulté, j'ai du mal avec lui et pourtant comme tu le soulignes sa lecture est assez addictive

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    1. Oh cela m'étonne, j'aurais cru qu'il était fait pour toi. Les bizarreries de nos lectures...

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  4. oh que j'aime Tabucchi, sa délicatesse...et Vieira da Silva

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  5. le point de départ m'intéresse noté aussi !

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