La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 25 mars 2025

Là où il n’y avait rien, la tempête se déchaînait en vain.

 

Albert Cossery, Mendiants et orgueilleux, 1955 (réédité il y a quelques années par Joelle Losfeld).

 

Dans une ville qui n’est pas nommée, mais que l’on peut supposer être Le Caire du tout début des années 50, et dans son quartier populaire, tout commence avec Gohar, ancien professeur de philosophie de l’université, qui a renoncé à tout – sauf au hashish. La journée débute sous l’angle du grotesque et du tragique, mais cela n’a pas d’importance, et Gohar se met en quête de ses amis, El Kordi, un jeune fonctionnaire plein de hautes idées romantiques et Yéghen. Gohar et Yéghen sont mendiants et détachés de tout. Sauf qu’un crime est commis (je n’en dis rien, mais le roman en dit tout). Entre alors en scène Nour El Dine, officier de police, homosexuel honteux, qui se prend tout de suite de sympathie pour ses interlocuteurs pourtant suspects.


Il détestait s’entourait d’objets ; les objets recelaient les germes latents de la misère, la pire de toutes, la misère inanimée ; celle qui engendre fatalement la mélancolie par sa présence sans issue. (…) Le dénuement de cette chambre avait pour Gohar la beauté de l’insaisissable, il y respirait un air d’optimisme et de liberté.


J’ai beaucoup aimé cette plongée dans un monde de ruelles et de cafés. Le détachement de nos mendiants peut agacer, car empreint de supériorité et d’égoïsme, mais il en impose et produit des scènes réjouissantes. J’ai aimé le personnage de Nour El Dine, en proie à toutes les contradictions humaines, autoritaire et fermé, sensible et curieux, mais également celui de Yéghen, vendeur de hashish, poète, tourment de sa mère, capable de sacrifice et d’abnégation.

Il y a beaucoup d’humour, notamment une scène à l’hôtel où il n’y a pas assez d’édredons pour toutes les chambres.

Le petit bémol, c’est qu’évidemment, c’est un roman des années 50, un roman de mecs, mais bon, on en a vu d’autres. Les femmes y sont peu nombreuses et servent de décor.

Le cœur du roman est constitué par l’évocation des rues du Caire, celles de la ville européenne, fausse et maussade, à l’opposé des ruelles boueuses pleines de vie.

Drack-oub, pseudonyme de François Bouchard, Le café maure (Narbonne, Palais Musée des Archevêques)

 


À une table voisine, deux vieux cheiks atteints de cécité totale discutaient les mérites artistiques d’une mosquée célèbre. L’un d’eux finit par traiter l’autre de faux aveugle. Cet outrage manifeste rompit net leur entretien.

 

Nour El Dine rêva à ce que serait la douceur d’être un mendiant, libre et orgueilleux, n’ayant rien à perdre. Il pourrait enfin s’adonner à son vice, sans crainte et sans honte. Il serait même. Fier de ce vice qui avait été durant des années sa pire torture. Samir lui reviendrait. Sa haine tomberait d’elle-même, lorsqu’il se présenterait à lui dépossédé de ses emblèmes d’autorité, lavé de ses préjugés et de sa morale visqueuse.

 

N’empêche que l’on aimerait bien se poser, un soir, au Café des Miroirs, et écouter les conversations.



10 commentaires:

  1. Un auteur noté depuis longtemps.... sans savoir lequel choisir!

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    1. Je te propose ce titre alors, il a été réédité il y a quelques années.

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  2. L'aspect dépaysant du roman me plait mais le côté "roman de mecs" me refroidie un peu... même si on en a vu d'autres (en fait je cherche aussi des excuses pour ne pas alourdir ma PAL)

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    1. C'est un point que je signale parce que c'est agaçant, mais pas rebutant. C'est un détail (je lis plein de trucs du XIXe siècle donc bon...). Cela reste un très bon roman (mais évidemment si ta PAL ressemble déjà à Manhattan, ce n'est peut-être pas une bonne idée).

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  3. J'avais aimé l'énergie, les personnages haut en couleur.. j'ai lu par la suite La violence et la dérision, mais j'ai moins aimé, je l'ai trouvé moins abouti au niveau de l'intrigue et des personnages.

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    1. Je trouve que le personnage du policier est très réussi et apporte du dynamisme à l'ensemble, même si le mendiant est également une vraie figure. Je n'ai pas lu d'autre titre.

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  4. Ces personnages ont l'air hauts en couleurs, et je me plongerai volontiers dans le dédale cairote à leurs côtés.

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  5. un excellent souvenir de lecture mais je ne trouve pas de chronique cela doit dater du temps lointain où je n'avais pas d'ordi. En revanche j'ai retrouvé celle des Fainéants dans la vallée fertile.

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