Judith Herrin, Ravenne. Capitale de l’Empire, creuset de l’Europe, parution originale 2023, traduit de l’anglais par Martine Devillers-Argouarc’h, édité en France par Passés composés (avec des erreurs de correction).
Un livre d’histoire qui essaie d’expliquer pourquoi Ravenne, cette petite ville, est dotée d’aussi extraordinaires mosaïques, fabriquées entre le IVe et le VIIIe siècles, dans cette période qui est celle dite « antiquité tardive » ou « paléochrétienne », sans parler de « fin de l’empire romain », bref des expressions qui sentent plus l’écroulement que l’éclat.
Tout commence au IIIe siècle, quand Dioclétien, face à l’impossibilité de contrôler un empire aussi gigantesque, décide de nommer un co-empereur en orient pour affronter les perses. En occident, il déplace la capitale de Rome à Milan, qui est plus proche de la frontière nord. On est sur une logique militaire.
C’est aussi l’époque, avant le concile de Nicée, où les chrétiens n’ont pas encore fixé la question de la nature de Jésus, ce qui permet l’apparition de ce que l’on appelle l’arianisme, très présent dans l’armée goth – armée goth qui constitue une part non négligeable de l’armée romaine.
En 401 les Wisigoths d’Alaric commencent à ravager l’Italie et la cour impériale occidentale déménage de Milan à Ravenne – une ville située dans le delta du Pô. Les marécages rendent le site difficile à assiéger et, via Classe, la ville bénéficie d’un accès direct à la mer Adriatique et donc à la capitale orientale de l'empire.
Apparaît le personnage de Galla Placidia, princesse impériale romaine, mais ayant vécu plusieurs années chez les Goths (en tant qu’otage, mais aussi mariée à un chef), rompue à la diplomatie. Galla Placidia fut impératrice d’occident (via une régence), sa cour installée à Ravenne, et fidèle alliée de l’empire d’orient. Si l’Italie est régulièrement visée par des Wisigoths, Goths, Huns, Lombards, etc., à Constantinople se maintient un empire romain fort et chrétien – et dont le point d’entrée en Italie est Ravenne.
Il y a une période de rois d’origine non romaine, mais très assimilés, qui administrent l’Italie depuis Ravenne, indépendants, mais reconnaissant la prééminence du pouvoir impérial. C’est d’abord Odoacre (qui sonne le glas de Romulus Augustule), puis Théodoric, brillant souverain goth.
Théodoric représentait par conséquent un nouveau type de chef militaire non-romain, différent de tous ceux qui avaient marché sur l’Italie depuis le début du Ve siècle. Ses connaissances en latin et en grec étaient assez approfondies pour lui permettre de comprendre les sénateurs romains les plus instruits, à l’oral comme à l’écrit, tout en restant le chef goth qui s’adressait à son peuple dans sa propre langue et donnait créance à leur façon de considérer la religion chrétienne. Ce trilinguisme qui ajoutait encore à ses références militaires et politiques faisait de lui un Goth à part, qui impressionnait tous ceux qui l’approchaient.
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N'étant pas encore allée à Ravenne, cette photo de la basilique Sant'Apollinare Nuovo provient de Wikipedia |
Puis une période où Ravenne (et de facto une partie de l’Italie) est administré par un fonctionnaire représentant de Constantinople, l’exarque. C’est aussi la fin de l’arianisme et le passage au catholicisme.
La présence de l’empire romain d’orient et de Constantinople à Ravenne se traduit par l’usage du grec parmi les fonctionnaires de l’empire et dans les archives, par la présence d’érudits familiers du grec et du latin (médecins notamment, mais aussi géographes), par la présence de chrétiens de différentes obédiences, par la présence d'artisans mosaïstes, par la construction d’édifices de prestige – l’archevêque de Ravenne étant, de fait, l’un des représentants de Constantinople face au pape de Rome.
Mais derrière se cachait en réalité une rivalité entre Ravenne, la capitale italienne de l’empire, et Rome, l’ancienne capitale qui devenait désormais le centre des dirigeants de l’Occident chrétien. La supériorité politique du nouveau centre du pouvoir séculier devait affronter une autorité ecclésiastique plus grande, détenue par les représentants de Saint-Pierre, qui cherchaient à avoir la primauté en titre sur toutes les églises.
Puis arrivent les Lombards qui s’installent durablement dans ce qui devient la Lombardie. Quand l’empire d’orient se retire définitivement d’Italie, les négociations et les batailles s'engagent pour faire tomber Ravenne du côté… des états du Pape ? des Lombards ? ou du nouvel empire franc qui s'est constitué pendant ce temps-là ?
Car c’est en effet Charlemagne lui-même qui se rend à Ravenne et embarque la statue de Théodoric pour son palais d’Aix-la-Chapelle.
Théodoric, ce mélange d’agressivité germanique et d’habileté politique byzantine, était un modèle étonnamment pertinent pour le roi franc si récemment élevé au rang d’empereur. Le roi des Goths incarnait l’adaptabilité des éléments les plus importants de la culture impériale romaine, que Charles désirait imposer dans sa renovatio imperii : une nécessaire christianisation de l’Empire, la loi romaine, une administration efficace et une instruction de haut niveau.
Aujourd’hui, bien qu’abondamment restaurées, les représentations de Justinien et Théodora constituent une sorte de modèle d’un comportement typiquement impérial. Il émane d’elles une majesté, un pouvoir confirmé par les insignes royaux et les vêtements des souverains orientaux, si différents des toges ou uniformes militaires des empereurs romains de l’Antiquité.
Outre l’histoire même de Ravenne, je suis intéressée par ce point de vue légèrement décalé sur la période. Point ici d’empire qui s’écroule. Le point de vue est majoritairement celui de Constantinople qui prend des décisions (comme l’iconoclasme) en fonction de ses intérêts (en l’occurrence, l’avancée des armées arabes et musulmanes) et qui inscrit Ravenne dans sa stratégie. Ce décentrement est salutaire. La période du IVe au VIIIe ne constitue pas seulement un entredeux ou une transition qui n’en finit pas, mais un moment de construction bâtimentaire, politique, théologique et législatif.
Alors, c’est dense, mais ça se lit plutôt pas mal et c’est très intéressant. Évidemment, cela donne aussi envie de prendre le train et de partir loin, loin. C'est d'ailleurs pendant cette lecture que j'ai craqué et pris mes billets de train pour Venise (il faut bien commencer quelque part).
Si le calendrier avait été différent, j'aurais sans doute choisi ce livre pour le thème proposé par Cléanthe. Dans le cadre du challenge Escapades en Europe, il demande de lire, pour le dernier mois, c'est-à-dire en avril 2026, un livre qui représente l'Europe à nos yeux. Un livre d'histoire ça me semble bien, un livre ouvert tout à la fois sur la Méditerranée et sur Constantinople et la Mer Noire, qui fait intervenir les Goths, les Romains, les Grecs et les Francs, un livre qui donne envie de monter dans le train et de parcourir notre beau continent. Mais il faudra que je trouve autre chose.
J'ai eu grand plaisir à lire ton billet. C'est typiquement le genre d'ouvrage qui pourrait me plaire.
RépondreSupprimerIl est passionnant.
SupprimerTon "c’est dense, mais ça se lit plutôt pas mal et c’est très intéressant" m'a fait vaciller, et je l'ai noté (oui, il est à la bibli, disponible, étonnant, non? ^_^)
RépondreSupprimerPourquoi étonnant ? Je ne doute pas de tes bibliothèques.
SupprimerC'est du sarcasme, car p
SupprimerNon c'était sincère.
SupprimerZut alors le comm est parti. Le sarcasme venait de moi, ni contre toi, ni contre la bibli, juste que pour une fois si je veux emprunter il n'y a pas 5 résas avant, comme pour les nouveautés.
SupprimerAh les livres d'histoire n'ont pas assez de lecteurs.
Supprimerrien que le nom de la ville me fait rêver
RépondreSupprimerles indépassables mosaïques y sont pour beaucoup
Pas certaine de lire ce livre en ce moment je suis plutôt branchée sur les temps de guerre mais je note parfois on est content de retrouver la référence
J'ai eu exactement la même réaction que toi. Ces incroyables mosaïques...
SupprimerComment ça, "tu nous parleras peut-être" de "De purs hommes" ?! Je te rappelle que tu as rendez-vous ! De mon côté, je viens de terminer "La plus secrète mémoire des hommes".. quel livre !
RépondreSupprimerJe reconnais que la probabilité que j'en parle est assez forte en effet.
Supprimeret comme j'ai eu le bonheur d'aller voir ces fameuses mosaïques en vrai, ça m'intéresse d'autant plus!
RépondreSupprimerQuelle chanceuse !
SupprimerCela m'intéresse bien, je vais le chercher!
RépondreSupprimerSi tu veux aller à Ravenne, rien de plus simple; Train pour Bologne puis train régional (au moins 1 par heure) pour Ravenne.
Nous y avons passé 4 jours merveilleux, et comme c'était Pâques Une Passion selon Saint Jean sous les mosaïques, un souvenir inoubliable.
https://netsdevoyages.car.blog/2011/05/13/ravenne-arrivee-a-la-casa-masoli/
RépondreSupprimerune excellente adresse
Rien de plus simple ? 12 heures de trajet et 4 changements, je connais. Un jour j'irai là-bas.
RépondreSupprimerDécouvrir Ravenne a été pour moi un vrai choc visuel. J'y suis d'ailleurs retourné quelques années plus tard. Et je pense que j'y retournerai encore... Ça, c'est pour te donner envie de repartir au plus tôt pour l'Italie, puisque tu ne connais pas encore Ravenne - un petit tour à Ferrare qui est tout a côté compléterait agréablement le séjour. :)
RépondreSupprimerEt oui, c'est vrai que ce billet aurait eu toute sa place pour l'escapade européenne d'avril prochain. Du coup, je note ce titre qui me fait bien envie.
Les idées de voyage en Italie ne manquent pas en effet.
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