Camilo José Cela, La Ruche, première édition à Buenos Aires en 1951, première édition en Espagne en 1955, traduit de l'espagnol par Henri L. P. Austor, première édition française en 1958 chez Gallimard.
Quelques jours à Madrid en 1942.
Tout commence auprès des habitués d'un bistrot de quartier. La patronne, les clients, les serveurs, le vendeur de cigarettes... Le récit passe de l'un à l'autre, raconte leurs espoirs et leurs déceptions, leurs petites victoires minables et leurs affres. Puis, il les suit dans la rue et dans leur immeuble, dans leur famille.
Doña Rosa va et vient entre les tables du café tout en bousculant les clients avec son terrible derrière. Doña Rosa dit fréquemment « foutre » et « on est baisés ». Le monde, pour doña Rosa, c'est son café, et autour de son café il y a tout le reste.
C'est le début.
Les personnages sont nombreux et bien vite le lecteur se perd – c'est sans doute fait exprès – mais il retombe sur ses pattes et retrouve cet intellectuel de gauche désargenté, cette prostituée qui cherche un protecteur durable pour ses vieux jours, ces jeunes femmes qui ont « un ami » pour améliorer l'ordinaire, ces mères de famille pleines d'illusion et celles qui sont froidement réalistes. Le monde est cruel quand on a faim et froid, quand on a un petit métier, que l'on est une femme.
Il y a aussi un homme gonflé de son importance – à l'échelle de son immeuble, un perroquet qui dit des insanités, une femme très heureuse de voir son nom figurer dans la revue « Chérubin Missionnaire ».
Ici le ton est cynique et très humain et les personnages sont irrévérencieux. La religion en prend pour son grade, le conformisme social aussi, avec ce médecin qui s'achète une nuit avec une petite de 13 ans. Il y a un couple d'hommes et une famille qui est solidaire pour protéger l'un des siens contre la police. Une jeune fille de bonne famille qui compte les « performances » de ses amants sur son petit carnet secret.
Rien d'étonnant à ce que la censure franquiste ait eu le hoquet à la lecture.
Le patron est un brave homme, un homme honnête qui fait bien son petit marché noir, comme tout un chacun, mais qui n'a point de fiel.
J'admire la façon dont malgré tout le récit est tracé. Sous couvert de passer d'un personnage à l'autre sans intrigue véritable, l'auteur nous mène où il veut. La fin est impressionnante, puisque le lecteur ne saura finalement pas ce qu'il s'est vraiment passé et ce qui est sur le point de se produire. Je dirais même que Cela joue complètement avec les nerfs du lecteur en lui agitant sous le nez un journal qu'il ne lui montrera pas. C'est une habileté.
Un roman qui nous plonge au plus près de la vie et des préoccupations du peuple de Madrid, dans une langue et une narration très modernes.
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Churros et chocolate. Au café à Madrid au mois de février. |
Don Ibrahim sourit d'un air triomphant, et demeura quelques instants sans penser à rien. Au fond – et à la surface aussi – don Ibrahim était un homme heureux. On ne faisait pas attention à lui ? Et après ? Et l'Histoire, à quoi servait-elle ?
La rue, à mesure que la nuit s'épaissit, prend un air affamé et mystérieux à la fois, tandis qu'un petit vent qui court comme un loup siffle entre les maisons.
Don José Sierra émit avec sa gorge un son bizarre, un son qui pouvait aussi bien signifier oui, que non, que peut-être, que qui sait. Don José est un homme qui, à force d'être obligé de supporter sa femme, avait réussi à vivre des heures entières, parfois même des jours entiers, sans dire, de loin en loin, autre chose, que hum ! Et puis au bout d'un moment, hum ! Et ainsi de suite. C'était une façon très discrète de laisser entendre à sa femme que c'était une imbécile, mais sans lui dire nettement.
Cela a reçu le prix Nobel de littérature en 1989.
Bon pour le mois espagnol de Sharon.
Je vais encore dire qu'il faudrait que je lise davantage d'écrivains espagnols ! Je participerais peut-être au challenge de Sharon l'an prochain
RépondreSupprimerEn général, j'ai l'impression qu'on en connaît peu en France.
SupprimerUn Nobel qui m'était complètement inconnu... ça a l'air pas mal du tout.
RépondreSupprimerRemercions le guide bleu de Madrid qui a attiré mon attention sur lui, je n'en avais jamais entendu parler non plus.
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