La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



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jeudi 13 juin 2013

Moi, j’aimerais mieux faire trois guerres, debout sur mes deux pieds, plutôt que d’accoucher une seule fois !


Euripide, Médée, Ve siècle av. notre ère, peut-être en 431, traduit du grec par Marie Cardinale, édité par Grasset en 1986 et 87.

J’ai beaucoup aimé cette lecture et cela sans doute grâce à la traduction pleine de vie et de chair de Marie Cardinale.
C’est l’histoire de Médée telle qu’on la connaît. Il semble que c’est Euripide qui le premier a eu l’idée de faire tuer les enfants par Médée elle-même. Et oui, on a affaire à un mythe, chacun y ajoute sa petite pierre. Égée n’y a pas encore le rôle décisif qu’il a chez Corneille. Et il n’y a pas ici de Deus ex machina, pas de char avec ses dragons, juste une femme et un poignard. Quant à la robe, je trouve que Corneille s’en sort mieux, il l’utilise vraiment pour faire avancer la narration et hâter le dénouement. Mais ici la langue est plus forte. Créon me paraît plus sensible mais tous les personnages à l’exception de Médée sont un peu faibles. L’héroïne prend toute la place, terrible.


Judith Anderson joue Médée dans la pièce d'Euripide
photographie de Thérèse Le Prat Thérèse, 1955
Paris, Médiathèque de l'Architecture, image RMN
Le texte insiste aussi sur un autre point. Alors que Corneille retient surtout la trahison amoureuse de Jason – amoureux intéressé – Euripide met l’accent sur l’étrangeté de Médée : ce n’est pas une Grecque, c’est une Barbare, elle vient de la Mer Noire. Elle est forcément étrangère (et un Grec ne peut pas épouser une Barbare – le lien qui l’unit à Jason ne vaut rien devant la loi et les enfants n’ont aucune protection), exilée, effrayante, bizarre, elle fait peur. Alors que Jason est le « Grec ». Et comme dans toutes les tragédies grecques, les femmes sont en proie à un destin sur lequel elles n’ont aucune prise.
Une histoire de fureur.

Jason
Tu es immonde ! Tu es une créature infecte ! Tu me fais horreur, tu fais horreur au genre humain, tu es un monstre !
Maudit soit le jour où je t’ai sortie de ta terre barbare !
Maudit soit le jour où je t’ai installée dans la famille que tu viens d’exterminer ! Jamais une femme grecque n’aurait commis une telle monstruosité, jamais !
Maudit le jour où je t’ai embarquée sur mon beau bateau !
Maudit le jour où je t’ai préférée à une femme de mon pays. Tu n’es pas une femme, tu es une lionne sanguinaire, tu es une sauvage !

Participation au pari hellène et au challenge Médée.





vendredi 11 février 2011

Les dieux accomplissent beaucoup de choses contre notre attente, et celles que nous attendions n’arrivent pas ; mais le dieu fraye la voie aux événements imprévus.

Comme j’ai lu la pièce dans une édition pédagogique, j’ai découvert dans le même volume l’Andromaque d’Euripide (Ve siècle av. J.-C.). Ici, Astyannax a été tué à Troie mais l’histoire reste la même.
Plus difficile de juger de la langue, j’ai lu la traduction de Nicolas-Louis Artaud (1857), en prose. Il faut tout d’abord mentionner le rôle du chœur qui amplifie les thèmes (lamentation, plainte, louange, appel aux dieux), qui questionne les héros et met en avant leurs hésitations intérieures. Il me semble que la pièce antique fait moins de place aux dialogues et plus aux monologues, dans un art plus oratoire, sans doute plus éloigné de notre sensibilité. Il y a également une plus grande place accordée aux incidents extérieurs : des guerres menées en Grèce, le deus ex machina (déesse en l’occurrence), la voix de la sagesse qui triomphe et empêche les hommes d’être totalement en proie à leurs passions.
Nous sommes bien plus proches de Racine, son vocabulaire de l’amour est le nôtre.

Andromaque
Va donc ; pour moi, toujours baignée de larmes, je ferai retentir les airs de mes gémissements et de mes sanglots ; car c’est pour les femmes un plaisir naturel dans leurs maux de les avoir toujours à la bouche. Et j’ai plus d’un sujet de gémir, la ruine de ma patrie, la mort d’Hector et la cruelle destinée qui m’enchaîne et m’a fait tomber dans une indigne servitude. Il ne faut jamais appeler aucun mortel heureux avant d’avoir vu comment, à son dernier jour, il descendra aux enfers.
Ce n’était pas une épouse, mais une furie, que Pâris conduisit dans Ilion aux hautes murailles, lorsqu’il emmena Hélène pour partager sa couche ; c’est à cause d’elle, ô Troie, que le terrible Mars vint de la Grèce, avec mille vaisseaux, porter le fer et la flamme dans tes murs.

Andromaque par Milhomme, un plâtre de 1800 conservé au Louvre.