Rick Bass, Sur la route et en cuisine avec mes héros, parution originale 2018, traduit de l’américain par Brice Matthieussent, édité en France par Christian Bourgois.
Rick Bass, le Bass des grizzlys et des cerfs et du Montana, traverse une petite crise personnelle. Rien de dramatique, mais il réfléchit à sa place dans la littérature américaine, à ses modèles et à son propre rôle puisqu’il enseigne dans des masters d’écriture et de littérature. Il décide de cuisiner des repas pour ses mentors, mais en compagnie de ses élèves, et quelquefois d’une de ses filles. Une façon de saluer ceux qui le guident au moment de placer des mots sur une page, de donner et de recevoir.
Le concept est un peu déroutant et Bass précise avoir reçu plusieurs réponses négatives de la part d’écrivains n’ayant guère envie de voir leur cuisine envahie par cette troupe. Le résultat est plutôt intéressant et touchant.
Cet été-là, j’étais à mille lieues de l’écrivain que je désirais être ; j’ai décidé que, si je ne savais pas écrire, je pouvais au moins tondre des pelouses et le faire bien, et je crois que je voulais le montrer à un vrai écrivain. La logique de mon raisonnement m’échappe aujourd’hui, mais je me souviens d’avoir pensé que tondre une pelouse me guérirait de toutes les souffrances infligées par mes tentatives d’écriture.
Les écrivains retenus sont tous américains (ce choix m’interroge, mais il n’est pas précisé à quels critères – pratiques, financiers, linguistique, etc. – il est dû), hommes et femmes, très ruraux ou très urbains. La réalisation de ce grand défi a nécessité forces voyages en avion et en voiture – les distances de ce pays sont difficiles à accepter pour nous autres. De fait, nous sommes aussi en pleine littérature de la route américaine. Et d’ailleurs Bass réfléchit aux qualités et aux défauts du livre de Kerouac.
Il y a pas mal de viande dans ces repas, parce que Bass souhaite partager la viande des cerfs et des élans qu’il tue chez lui. En dépit de ma réticence, je comprends aussi la démarche (il partage également les myrtilles et les champignons de chez lui) et il faut reconnaître que son passage dans une boucherie anglaise, avec toute cette viande déjà découpée, constitue un grand moment de perplexité pour lui.
J’ai aimé cette lecture, qui m’a plongée dans la culture américaine littéraire contemporaine. Bass parle de l’édition des années 80, de l’effervescence de ces années-là, des cours qu’il doit donner dans diverses facs pour gagner de l’argent, des relations avec ses prédécesseurs ou avec ses élèves, il essaie de trouver sa place, lui grand timide en quête de légitimité. Par ce grand voyage, il tente de prendre sa place dans cette histoire littéraire américaine, en tant qu’écrivain et en tant que passeur, et je pense qu’il s’agit là d’un des critères dans son choix d’auteurs. Il espère pouvoir écrire à nouveau de la fiction.
Cela se passait au début des années 1980, durant la renaissance de la nouvelle, une des périodes les plus stimulantes de toute l’histoire de la littérature américaine : de grandes œuvres s’accomplissaient sous la forme traditionnelle, élégante, éprouvée, de la nouvelle, et puis, débordant de cette floraison, mais parfois en même temps qu’elle, des expérimentations plus audacieuses comme celles de Donald Barthelme, T.C. Boyle, Joy Williams.
Je souligne quand même que c’est un livre excessivement dangereux puisqu’il donne envie de lire des tas d’auteurs !!! (il faut dire que je n’y connais pas grand-chose en littérature américaine) Je dois reconnaître que la force du livre repose sur cette notion de partage, partage de repas, partage d’histoires à raconter et de souvenirs, partage d’enthousiasmes, littéraires ou non.
Il y a un magnifique hommage à Jim Harrison, un repas avec le légendaire Doug Peacock, qui est lui-même le passeur d’Edward Abbey, un beau repas avec Joyce Carol Oates et même l’apparition timide de Michael Jackson.
Il y a aussi du fromage bleu de l’Oregon sur des crackers et des morceaux de poire, un voyage en avion avec de la viande d’élan ( !) (en se trompant de valise 😱 ), des tartes à la rhubarbe, des patates douces, un saumon avec une croûte de pistaches (le livre ne contient aucune recette), une dinde qui explose et un ramassage de perdrix sur l’autoroute.
Gregory Crewdson, An Eclipse of Moths, 2018 |
J’ai donc emporté un robot culinaire dans mes bagages jusqu’à New York. Je voyageais avec Erin Halcomb, l’une de mes étudiantes, une merveilleuse écrivaine de non-fiction, qui deviendra l’une des grandes voix de l’avenir. Elle travaille comme bûcheron et attrapeur de fouines pour le Service des forêts américain. Je l’ai rencontrée il y a quelques années lors d’un atelier dirigé par Terry Tempest Williams dans les Centennial Mountains du Montana. Je crois en elle, comme jadis des gens ont osé croire en moi, et je désire lui faire connaître le plus grand nombre possible de mes mentors.
On peut lire mille choses sur l’art d’écrire. Mais se trouver confronté à la grandeur d’un authentique écrivain vivant possède une valeur inexplicable et inépuisable. Je ne me suis jamais assis sur la véranda de Miss Welty pour boire une limonade avec elle, je ne me suis jamais promené en sa compagnie dans son jardin pour m’engueuler avec mon idole sur les vertus de la métaphore – mais je me rappelle des détails infimes, des gestes minuscules de mes mentors : la respiration laborieuse de Harrison, sa voix rocailleuse quand il racontait une histoire.
À vrai dire, je me demande si ce livre ne pourrait pas rejoindre la thématique du monde du travail lancée par Ingannmic, mais pour le métier d'écrivain. Je ne suis pas très sûre.
Rick Bass sur le blog :
Toute la terre qui nous possède : un géomètre au Texas
Le Journal des cinq saisons : une année dans la vallée du Yaak au Montana
Et maintenant, j’ai très envie de relire le livre des grizzlys !
Comme tu le dis, ce livre est trop dangereux pour ma PAL ! Comme Rick Bass, je suis une grande admiratrice de Jim Harrison. En revanche, je n'ai pas encore lu ses livres à lui. J'ai été sur le site internet de Rick Bass et j'ai l'impression qu'il n'a plus publié depuis 2017 ?
RépondreSupprimer@JeLis : Oui c'est un peu triste parce que dans ce livre il répète à plusieurs reprises qu'il veut revenir à la fiction mais effectivement il n'a rien publié ces dernières années. J'espère qu'il va bien.
RépondreSupprimerDe Jim Harrison j’ai bien aimé ”un sacré gueuleton ”lu récemment. Il parle de gastronomie, de politique, d’amour.C’est drôle aussi.Du Jim Harrison quoi.
RépondreSupprimer@Carmen : j'avoue ne pas l'avoir assez lu, mais j'ai repéré des titres qui me parlent. Toute une liste à découvrir.
RépondreSupprimerVoilà qui n'a pas trainé !!! Je scrute le site de la bibli, plein de livres, mais pas ce titre de l'auteur! Snif.
RépondreSupprimerActuellement, visite d'un couple de ma famille, au taquet sur l'histoire de France, on s'était gavés de Loches et donc récemment Langeais (génial, ave un vieux truc de Foulques Nerra dans l'affaire) et Chinon (un autre Foulques...). D'autres châteaux sympas attendent dans le coin. ^_^ Ils n'ont pas réussi à accéder à Chenonceau dans des conditions récentes de visite...
@Keisha : J'aimerais bien revoir Langeais et Chinon aussi, ce sont de si beaux endroits. Une prochaine fois peut-être...
RépondreSupprimerFoulques, le retour!
RépondreSupprimerJe n'ai jamais lu cet auteur, et si je comprends bien, ce titre donne à la fois envie de manger (enfin pas l'élan, hein..) et de lire, cela mérite qu'on le retienne !
RépondreSupprimerEt pour l'activité sur le monde du travail, comme je ne sais pas trop non plus, je prends :), je le rangerai avec le journalisme...
@Ingannmic : tu ne l'as jamais lu ? Quand tu auras fini ta cure d'austérité, il faudra que tu le lises ! (il est pas du tout journaliste en revanche) Je pense qu'il te plaira.
RépondreSupprimerJe note, je note (j'ai une petite liste post-cure qui bientôt ne sera plus si petite...) !
RépondreSupprimerEt j'ai mis ton titre avec la catégorie "journalisme" parce qu'on est dans l'écriture et que c'est celle qui me semble le mieux convenir, mais je l'ai renommée pour que ce soit cohérent.