Diderot, Le Neveu de Rameau, lu, relu...
Le dialogue entre « Moi », se présentant comme philosophe, et « Lui », personnage inspiré par le vrai Jean-François Rameau, neveu du célèbre compositeur. Il est fou, prend le masque de tous les caractères, exerce son activité de parasite au service d’un riche financier qu’il distrait par ses pitreries. Rameau vante tous les paradoxes et détruit les principes, notre philosophe vacille, est troublé. Surtout Rameau a l’art de la pantomime, il se pénètre si bien de la réalité de tous les gestes, de toutes les émotions, qu’il imite le violoniste, le joueur à son clavecin, la tendre jeune fille, celui qui veut la pervertir et tous les types humains.
En même temps, il se met dans l’attitude d’un joueur de violon ; il fredonne de la voix un allegro de Locatelli, son bras droit imite le mouvement de l’archet ; sa main gauche et ses doigts semblent se promener sur la longueur du manche ; s’il fait un faux ton ; il s’arrête ; il remonte ou baisse la corde ; il la pince de l’ongle, pour s’assurer qu’elle est juste ; il reprend le morceau où il l’a laissé ; il bat la mesure du pied ; il se démène de la tête, des pieds, des mains, des bras, du corps.
Après cette historiette, mon homme se mit à marcher la tête baissée, l’air pensif et abattu ; il soupirait, pleurait, se désolait, levait les mains et les yeux, se frappait la tête du poing, à se briser le front ou les doigts, et il ajoutait : Il me semble qu’il y a pourtant là quelque chose, mais j’ai beau frapper, secouer, il ne sort rien. Puis il recommençait à secouer sa tête et à se frapper le front de plus belle, et il disait, ou il n’y a personne, ou l’on ne veut pas répondre.
Auront été évoqués, comme les personnages d’une galerie, les hommes de lettres plus ou moins crottés, les philosophes, les actrices, les bourgeois, les mondains. Le dialogue se poursuit sans queue ni tête, ne s’interrompt que parce qu’il faut bien aller à l’Opéra. « Rira bien qui rira le dernier », comme dit le neveu.
Diderot, Le Neveu de Rameau, écrit en trois phases principales (1761-1762, 1773-1774, 1778-1782), première édition en allemand en 1805 (la traduction est de Goethe) et en français en 1821. Je l’ai lu dans l’édition du Livre de Poche, d’après le manuscrit trouvé par Georges Monval chez un bouquiniste des quais parisiens en 1891.
Ce qu’en disait Goethe en 1804 : « Ce dialogue éclate comme une bombe au beau milieu de la littérature française, et il faut une extrême attention pour être bien sûr de discerner au juste ce qu’atteignent les éclats et comment ils portent. »
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