Aujourd’hui, je laisse le micro à Marc qui, par un
hasard tout à fait exceptionnel, a lu pour vous avec attention :
Bernard Simiot, Paradis perdus, Paris, Albin Michel,
1990.
Il n'est pas très difficile de dézinguer un mauvais
bouquin. Je confirme et m'y essaye
aussitôt, en ne résistant pas au plaisir d'en dévoiler toute l'intrigue, qui
décidément vaut son pesant de cacahuètes et évitera à l'éventuel lecteur
intéressé de perdre son temps, à moins qu'il n'ait envie de rigoler un bon
coup.
Jacques Lareuille, écrivain de son état, promis à un
bel avenir littéraire et mondain, se rend en mission au Maroc, à la demande de
l'Ambassade de France, pour le compte de laquelle il doit donner une conférence
sur Ferdinand de Lesseps. Il y retrouve un certain Lecornic (sic), un ancien
ami et compagnon d'armes, à qui il confiera longuement le douloureux
souvenir qui le hante encore,
celui d'une femme rencontrée ici même lors d'un premier voyage, et qu'il a tant
aimée.
La femme s'appelle Jeanne Durant (re-sic). Elle était
alors docteur en médecine, intégrée comme chercheur dans un laboratoire local
pour y étudier la bilharziose, véritable fléau dans toute l'Afrique. C'est une
maladie due à un petit trématode, le schistosoma, vivant dans l'eau des oueds africains et qui parasite le
sang en entrant je cite "par
la quéquette ou par l'anus, et dont on ne peut plus se débarrasser."
Jeanne Durant est une femme intelligente et
déterminée, indépendante avec une sorte de dureté intérieure qui ne manque pas
d'intriguer Jacques Lareuille, lequel, comme le premier dragueur venu, va
désormais s'ingénier à percer la
carapace. Leur première rencontre a lieu au cours d'une soirée mondaine, genre,
avec Ferrero Rocher, les réceptions de l'ambassadeur sont toujours un succès.
Présentés l'un à l'autre, c'est à qui en mettra plein la vue à l'autre à coup
de références littéraires et de généralités pseudo philosophiques se
voulant à la fois brillantes et cultivées.
Bon, je passe, tout en restant sur le mode de la
confidence, tenant un verre de whisky à la main, dans l'envoûtante nuit
marocaine pleine de senteurs, pendant que le fidèle Miloud (celui qui vient
servir le whisky) obtient finalement de son maître Lecornic la permission
d'aller se coucher, Lareuille poursuit son histoire. Retour à Paris donc, et je
passe les détails, les deux protagonistes finissent par se retrouver, vont au
restaurant et finissent assez vite au lit pour une de ces scènes de sexe dont
la mauvaise littérature a le secret, et qui constituent autant d'étapes torrides
et obligées. Voici un exemple dans
ce genre ridicule et convenu:
Notre accouplement, il m'est impossible
d'employer un autre mot, fut aussi rapide que brutal. Jeanne poussa un tel cri
que je mis ma main sur sa bouche de peur de troubler le sommeil du quartier
paisible où j'habitais. N'en finissant pas, son râle entretenait mon premier
feu. Venue du ventre plus que de la gorge, j'écoutais sa plainte, soudain plus
douce, presque tendre. Partageant son plaisir, j'en demeurai le maître. Je
dirigeais la manoeuvre. Courbé sur son visage que la tempête saccageait, je vis
apparaître une pureté enfantine sur ses joues, et au fond de ses larges yeux
ouverts le sourire bleu d'une
petite fille…
etc, etc
Lareuille comprend que ça va être pour lui beaucoup
plus qu'une coucherie sans lendemain. Au début c'est le super pied. Malgré son
apparente froideur, Jeanne Lareuille fait preuve d'un solide tempérament et
s'abandonne sans retenue dans les bras du futur Goncourt, qui n'en revient pas.
Pourtant quelque chose cloche. Jeanne Durant a des absences, pas vraiment
disponible comme en rêverait Lareuille, devenu sacrément accro. Alors quoi (à
nouveau je passe les détails), un problème, un amant ? Mais quel est donc ce
lourd secret qui la rend parfois si dure et distante ? Un amant ? Mais bon sang
mais c'est bien sûr. La plus noire jalousie s'insinue dans l'esprit de
l'écrivain. Il la suit, l'espionne, lit ses lettres. Jeanne Durant une nouvelle
fois disparaît de la circulation. C'est de toute façon toujours avant ou après
une nuit torride. Un soir à la Coupole, il aperçoit sa maîtresse en compagnie
d'un homme plus âgé et portant beau. Grand, bien découplé, sans doute la
cinquantaine, un visage d'empereur romain avant que la graisse du pouvoir l'eût
alourdi, le front dominateur aux tempes grises…
S'ensuit lors d'un nouveau retour de sa maîtresse à
la maison, une violente dispute, où la malheureuse en prend plein la tête. Mais
non tu ne comprends pas je vais tout te dire, ce n'était pas mon amant, mais
c'était le père Valentain (sic), venu pour quelque temps au sein de notre
équipe de recherche. Comprenant que son rival soit un curé, même en tout bien
tout honneur, Lareuille est un peu paumé. C'est un peu comme si Dieu lui avait
piqué Jeanne la froide, Jeanne la matérialiste endurcie. Ah oui j'oubliais,
Lareuille est vaguement catho tendance molle, ce que bien sûr finira par lui
reprocher la nana.
Re-disparition, pour finir par apprendre que Jeanne
Durant est partie avec le Père Valentain faire une retraite en vue de sa
première communion. La cérémonie a finalement lieu et Lareuille, briefé je ne
sais plus comment, assiste à la chose derrière un pilier d'Église. Scène assez
gratinée au demeurant. Je passe encore parce que ça va devenir lassant, un beau
jour, Jeanne Durant disparaît de la circulation pour de bon. Parti à sa
recherche, Lareuiile finit par apprendre qu'elle est entrée dans les ordres, à
l'extrême colère d'un vieil oncle radical socialiste et bouffeur de curé.
Petit détail, cherchant à retrouver le père Valentain,
qui, finalement il faut bien le dire, lui a piqué sa meuf, il téléphone au
couvent belge, censé héberger le suborneur. Ah, mais c'est qu'il n'y a pas de
père Valentain ! Nous n'avons jamais entendu parler de cette personne...
Retour sur la terrasse et fin des confidences à
Lecornic. Mais quelles confidences au fait ? Ont-elle véritablement eu lieu?
S'ensuit un épisode où Lareuille revit tous ces événements sur un mode
fantasmatique, en la présence invisible à ses côtés d'une Jeanne Durant fantomatique.
Il revient comme dans un rêve au couvent de San Damiano, près d'Assise, où
Jeanne Durant avait eu sa première titillation mystique à la simple vue des
nonnes dans le jardin du couvent. (Ah oui j'ai oublié de préciser qu'il y avait
eu un voyage crac-crac en Toscane. C'est là entre deux orgasmes que Jeanne
Durant découvre Dieu).
On arrive à la fin, ouf…
Dernier épisode, et celui-là non plus n'est pas piqué
des hannetons :
Lareuille est devenu un écrivain en vue, bientôt le
Goncourt et tout, lorsqu’un beau jour à l'aéroport, il croise un homme portant beau, qu'il
reconnaît aussitôt. Et là, accrochez-vous au pinceau:
- Je suis venu vous chercher, Jacques, dit le père Valentain, posant une main
impérieuse sur l'épaule du romancier.
- Je vous attendais, répondit Jacques Lareuille.
Taddzzzaaaa !...
Voili, voilà. J'ai oublié un détail qui m'intéresse
toujours au plus au point, que soit au cinéma ou dans la littérature, ce sont
les références musicales. En effet Jeanne Durant et Lareuille prennent l'habitude
de baiser en musique. Voici, dans leur ordre d’apparition, les oeuvres enrôlées
en fond sonore des parties de jambes en l'air.
Sonate en la
de César Franck d'abord envisagée, mais vite évincée au profit de la valse de
la Symphonie fantastique de Berlioz.
À un autre moment de crise, c'est Bach qui est
convoqué mais dans le genre aphrodisiaque, et en remplacement finalement du
concerto pour deux violons, le prélude de Tristan de Wagner connaît un certain succès:
La musique nous inondait, nous ne savions pas
si elle jaillissait directement du tourne-disque, du passé de notre amour ou du
présent de nos discordes. Entraîné par le chromatisme impérieux des violons
j'ai pris Jeanne dans mes bras et l'ai portée sur mon lit.
Une question me taraude in fine, comment parvient-on
à écrire des conneries pareilles ?
Photographies de Sam Lévin. Cécile Aubry, Michel Auclair, Henri-Georges Clouzot sur le tournage de Marion, 1948. Paris, Médiathèque de l'Architecture et du Patrimoine. Images RMN.
Enchantée de cette critique qui me réveille d'un week-end de convalescence. Je reprends les armes et j'ai bien rigolé .
RépondreSupprimerQuestion subsidiaire mais n'y voyez pas de mauvaise intention : mais qui peut lire des connerires (sic) pareilles (sauf pour les dézinguer )?
ysabel
Tant mieux si cela te fait rire. Marc est un poil pervers dans sa volonté d' "achever" de pareils livres, nous sommes d'accord, mais il est au courant !
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