La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 10 août 2011

Présente, je vous fuis, absente, je vous trouve.

Jean Racine, Phèdre, 1677.

Bon, vous connaissez la trame de cette pièce (inspirée des textes d’Euripide et Sénèque) : Phèdre aime de passion Hippolyte, le fils que son mari, Thésée, a eu avec la reine des Amazones. Les fils de la tragédie se nouent alors inextricablement.
J’aime revenir au théâtre ancien, classique et baroque, et surtout aux pièces de Racine. Je suis séduite en tout premier par la mécanique à l’œuvre, mécanique du destin, de l’écriture et de la dramaturgie. Tout avance et le mot « inexorablement » prend tout son sens. Sa lecture me captive et m’attache, j’en lis les cinq actes au fil de la journée et je lève enfin le nez, un peu effarée, pour un peu essoufflée moi aussi de la force de ses vers. Encore une fois (voir le billet sur Andromaque ), comment aussi peu de mots peuvent donc dépeindre avec autant de force des passions aussi brûlantes ?

Pierre-Narcisse Guérin, Phèdre et Hippolyte (esquisse), 1815,
encre, Paris, musée du Louvre, image RMN
 J’aime. Ne pense pas qu’au moment que je t’aime,
Innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même,
Ni que du fol amour qui trouble ma raison,
Ma lâche complaisance ait nourri le poison.
Objet infortuné des vengeances célestes,
Je m’abhorre encor plus que tu ne me détestes.
Les dieux m’en sont témoins, ces dieux qui dans mon flanc
Ont allumé le feu fatal à tout mon sang :
Ces dieux qui se sont fait une gloire cruelle
De séduire le cœur d’une faible mortelle.
Toi-même en ton esprit rappelle le passé.
C’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé :
J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine,
Pour mieux te résister, j’ai recherché ta haine.
De quoi m’on profité mes inutiles soins ?
Tu me haïssais plus, je ne t’aimais pas moins.
Tes malheurs te prêtaient encor de nouveaux charmes.
J’ai langui, j’ai séché, dans les deux, dans les larmes.
Il suffit de tes yeux pour t’en persuader,
Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.
Que dis-je ? Cet aveu que je te viens de faire,
Cet aveu si honteux, le crois-tu volontaire ?
(…) Hélas ! je ne t’ai pu parler que de toi-même !
Venge-toi, punis-moi d’un odieux amour ;
Digne fils du héros qui t’a donné le jour,
Délivre l’univers d’un monstre qui t’irrite.

10 commentaires:

Mangolila a dit…

Quel plaisir de relire ce passage! Merci!

grillon a dit…

Grand plaisir également !
Ce qu'il y a de plus extraordinaire, à mon sens, chez Racine, c'est la simplicité des mots, une simplicité qui produit un effet boeuf !
Bonne journée :-) !

nathalie a dit…

Merci les filles ! Je vois que Racine fait des heureuses (je suis bien d'accord avec toi Grillon).

Marie Neige a dit…

J'avais adoré "tout m'afflige et me nuit et conspire à me nuire", tellement plus beau que mon habituel "tout me pisse au cul". Nathalie vous le dira, j'ai un langage fleuri et subtil.

nathalie a dit…

Oh Marie, franchement, à la Cour, on ne parle pas comme ça !

Anne a dit…

Que ça fait du bien de relire ces vers ! J'étais grognon devant l'objet d'études scolaires, mais heureusement, plus tard, j'ai pu me laisser séduire par le plaisir et la force de ces mots !

nathalie a dit…

Oui, Racine se savoure mieux après quelques années de vie et de lectures.

Aymeline a dit…

Un vrai bonheur de relire ce passage :)

Anonyme a dit…

c'est nul

nathalie a dit…

Étudier Racine au collège c'est peut-être nul, mais le lire pour son plaisir est génial.