La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 31 octobre 2011

En cet endroit de l’histoire, la raconteuse s’arrêta.

George Sand, François le Champi, 1848.

Je pense que je vais avoir un peu de mal à parler de ce roman qui m’a pourtant bien plu.
Commençons par le fil du récit. Madeleine, meunière dans le Berry, belle femme au bon cœur, rencontre à la fontaine François, un petit garçon, un champi, c’est-à-dire mis à l’hospice et élevé par une femme en grande misère. Elle décide de les secourir, mais en cachette de son époux, un homme violent et bon à rien.
Les années passent. La mère d’adoption meurt. Le mari s’en va vivre auprès de sa maîtresse et faire des dettes. Madeleine reste seule avec son fils et avec le Champi, qui accomplit pour rien tous les travaux de la ferme. Alors que l’opprobre est général sur celui qui vient d’on ne sait où, Madeleine le considère comme son propre fils. Ensuite… les relations évoluent un peu comme le lecteur s’y attend, mais avec des rebondissements inattendus (une nièce, des créanciers et un procès…).
   L’enjeu principal de ce roman est d’abord celui de la langue. George Sand veut faire un roman qui plaise aux lecteurs parisiens mais en employant des mots du paysan berrichon, notamment pour décrire la campagne, les plantes, les haies. François dit « je vas » comme ma grand-mère. Cela confère à l’ensemble une fraîcheur et un effet de réel tout à fait inédit. Plus largement, Sand met en scène des pauvres, des gens du commun en respectant leur dignité, sans naïveté mais sans non plus en faire des monstres de noirceur – même si les personnages sont trop d’une pièce pour mon goût. Cette évocation du monde de la campagne est à mon avis très réussie.
    Une impression curieuse concerne l’ancrage historique. Sand écrit au milieu du XIXe siècle mais il est difficile de se faire une idée précise du moment où se déroule le roman. Dans La Famille de Germandre, il était fait allusion aux progrès de l’agriculture et l’on devinait que le héros se tenait au courant des innovations, et l’engagement (contre)révolutionnaire des personnages était un des ressorts narratifs. Ces éléments sont absents de François le Champi, seule l’attention portée aux créanciers et aux ruses financières des paysans connote le XIXe siècle balzacien. Pour tout le reste, il s’agit d’une campagne un peu hors du temps, aux vagues accents rousseauistes. Disons que Sand est bien une héritière du beau XVIIIe par l’élégance de ses personnages, le sentiment qui anime ses paysages.

J.-F. Millet, Femme portant une cruche sur l'épaule et remontant la berge d'une rivière,
19e siècle, aquarelle, crayon, lavis brun, plume,
Paris, musée d'Orsay, image RMN.
 Ce fut à soleil couchant que François revint au Cormouer. Il attrapa en route toute la pluie d’un orage ; mais il ne s’en plaignit pas, car il avait bon espoir dans l’amitié de Jeannette, et son cœur était plus aise qu’au départ. La nuée s’égouttait sur les buissons et les merles chantaient comme des fous pour une risée que le soleil leur envoyait avant de se cacher derrière la côte du Grand-Corlay. Les oisillons, par grand’bandes, voletaient devant François de branche en branche, et le piaulis qu’ils faisaient lui réjouissait l’esprit.

Et dernière note : n’oublions pas que François le Champi est le livre d’enfance par excellence du narrateur de La Recherche du temps perdu. En dehors des circonstances particulières où il reçoit ce livre, je pense que Marcel a pu aimer d’une part ce vocabulaire, ces mots rares, choisis, évocateurs, qui marquent un attachement au terroir et d’autre part avoir des rêveries romanesques de ce garçon vivant dans la nature. 
Une pensée pour Grillon qui a réussi à trouver un exemplaire de François le Champi dans l'édition possédée par Marcel Proust (fétichiste, va !)



Pour tout savoir sur George Sand, je vous renvoie au blog de George et à ses samedis sandiens.
C'était une lecture commune avec Asphodèle qui semble avoir déserté. Heureusement, ce roman a aussi été lu récemment sur Le Blog des livres qui rêvent.






7 commentaires:

grillon a dit…

lol, ce genre de fétichisme n'est pas nuisible ! Je n'ai pas lu " La famille de Germandre " ( ça me tente ) mais je me suis déjà demandé si le nom de ce marquis n'avait pas inspiré celui du duc de Guermantes.
Très bon week-end !

nathalie a dit…

Bonjour Grillon ! Oui, effectivement, on ne peut que se poser la question de l'homophonie quand on connaît le goût de Proust pour les noms et leurs sonorités.

Syl. a dit…

Un livre que j'avais aimé et qui m'a incitée à poursuivre avec Sand.

David Cazals a dit…

Je l'ai aimé, mais un peu moins que La Petite Fadette ou La Mare aux diables. François m'avait paru plus moralisant, par trop édifiant.
En tout cas Sand restitue à merveille la culture populaire et j'ai rarement eu autant le sentiment d'approcher par le roman l'univers des contes et légendes.

nathalie a dit…

Bonjour David. Désolée pour le retard avec lequel votre commentaire s'affiche, mais j'ai eu récemment des problèmes de spam (les vendeurs de Viagra se sont attaqués à Marguerite Duras) et je suis en train de changer les paramètres. Toutes mes excuses et bienvenu.
J'ai la même réticence vis-à-vis des personnages, pas assez convaincants à mon goût. Mais oui, c'est un texte entre la légende et le roman moderne, quelque chose de très curieux et indéterminé.

David Cazals a dit…

Ne soyez pas désolée, nous avons tout notre temps! Merci pour votre réponse ; mon cousin Moana m'a attiré là et je l'en remercie. A propos, rien ne m'a tant plu dans ce registre que les Filles du Feu, surtout Sylvie... et dans Sylvie, Othys.

nathalie a dit…

Oh oh, double bienvenue au cousin de Moana ! J'ai lu il y a longtemps les Filles du feu, j'en ai un souvenir un peu flou... une flammèche...