La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



samedi 10 décembre 2011

Votre ami a pris la pouliche et vous a laissé le soin de monter la vieille rosse.


John Barth, Le Courtier en tabac, traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro, 1e éd. 1960, Paris, Le Serpent à Plumes, 2002.

Un roman très original dont j’ai entendu parler sur France Culture à sa sortie, acheté, lu, relu l’année dernière et qui comme Proust, Schmidt, Twain, est une raison d’être de ce blog : tenter de faire découvrir des livres improbables à des lecteurs ébahis.

Il s’agit ni plus ni moins d’une parodie potache des romans d’aventures du XVIIIe siècle. L’auteur (honorable universitaire – les études, ça mène à tout) s’inspire d’un poème narratif paru en 1706 à Londres, Le Courtier en tabac ou un Voyage au Maryland. Mais au lieu d’un récit épique mêlant les clichés glorieux du genre (les pionniers vertueux qui défrichent les terres américaines, les sauvages Indiens, les paysages somptueux), on a affaire à des ivrognes, des catins, des marécages, des libidineux et des voleurs. John Barth a feint de croire que ce poème était autobiographique.
Il fait donc le récit de la vie d’Ebenezer Cooke, jeune anglais naïf, honnête et vertueux, s’éprenant d’une prostituée, mais cherchant à préserver son pucelage jusqu’au mariage, se rendant au Maryland pour administrer les terres familiales, se faisant dépouiller de ses biens par les colons, vendu aux pirates, réduit à dormir parmi les cochons, etc. Les Indiens sont des ivrognes et la légende de Pocahontas prend un tour nettement salace, les tribunaux sont corrompus, les colons se battent, opium et syphilis sont le lot commun. À la fin de sa vie, Ebenezer qui se pare du titre de « poète du Maryland » rédige un long poème amer (le vrai poème) :
Enfin sur un vaisseau embarqué sans remords
J’abandonne ce lieu à son funeste sort.
Puissent les cannibales toucher à ses bords
Afin que d’asservir ces mille et un butors ;
Qu’aucun vaisseau marchand n’ose s’aventurer
Dans ces eaux infestés de pirates rusés (…)


La langue est contemporaine avec quelques tours archaïsants, elle est surtout très ironique. Pas un personnage n’en réchappe, ni le trop naïf Ebenezer, jeune crétin en herbe, ni les roués qui l’entourent. 700 pages avec tempête, pirates, esclaves en fuite, dames de petite vertu, ruines, maladies, jeux de masques et quiproquo, rebondissements invraisemblables… Je crois que c’est un roman de vacances, qui nous fait partir dans un univers totalement barré.
Et ça commence comme ça :

Chapitre 1 : Où le poète est présenté et distingué de ses compagnons
Dans les dernières années du dix-septième siècle, on pouvait rencontrer parmi les sots et les élégants des cabarets de Londres un personnage maigre et dégingandé du nom d’Ebenezer Cooke, plus ambitieux qu’ingénieux et néanmoins plus ingénieux que prudent, qui, semblable en cela à ses joyeux compagnons, tous censés étudier à Oxford ou à Cambridge, avait trouvé plus plaisant de se divertir de sa langue mère, l’anglais, que d’en approfondir sa connaissance (…).

2 commentaires:

Lelf a dit…

Je l'ai découvert aujourd'hui vu qu'il ressort ce mois-ci chez Cambourakis et plus je lis de choses dessus, plus je le veux ! :D

nathalie a dit…

J'avais entendu un entretien accordé par Claro, traducteur, à la radio et ça m'avait donné envie de le lire. C'est très foutrac mais drôle, et cela se moque tellement bien de la littérature de voyage, de la mythologie américaine... Mais je te préviens : ça ne se lit pas vite.