Kim Un-Su, Le Placard, traduit du coréen par Choi Kyungran et Pierre
Bisiou, 2006, édité en France par Ginkgo en 2013.
Un livre bien étrange, qui laisse
un goût angoissant dans la bouche.
Le narrateur est un jeune homme
de Séoul, tout ce qu’il y a de plus ordinaire, qui a un emploi dans un institut
de recherches où personne ne fait rien. Mais lui est recruté par le docteur
Kwon pour s’occuper des dossiers du Placard n° 13. Il s’agit de témoignages de
« symptomatiques », c’est-à-dire de gens qui ont des symptômes
bizarres, anormaux. Un homme a un arbre qui pousse sur sa main. Une femme saute
dans le temps. Un homme ne mange pas. Un autre voudrait se transformer en chat.
Le narrateur rapporte leurs témoignages, sans jugement.
Par ailleurs, il se passe de
drôles de choses à son travail.
Le livre me laisse une drôle
d’impression, due sans doute à sa maîtrise. L’auteur représente une société où
chaque individu est isolé et ne peut communiquer avec les autres. Finalement,
que l’on ait ou non une anomalie, il reste le Placard pour raconter sa vie. Le
climat angoissant est contrebalancé par un style assez humoristique, mettant en
avant le côté loufoque et absurde de la tâche du narrateur. C’est donc très
réussi, il faut dire que la plupart des personnages sont attachants avec leurs
bizarreries les plus diverses.
La pleine lune est assez copieuse mais elle a moins de goût. Si on veut vraiment découvrir le goût de la lune, rien ne vaut le croissant. Il n’y a pas grand-chose à manger, mais quand vous croquez dedans, vous pouvez savourer son véritable goût.
- Quand vous mangez du clair au lune, vous y ajoutez du sel ou du poivre ?
- C’est une super idée ! Je vais essayer cette nuit.
B. Lavier, Mademoiselle Gauducheau, 1981
Paris, Centre Georges Pompidou, image RMN.
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Mon bémol concerne le fil
narratif, qui me semble un peu faible. Bien sûr, on frôle le catalogue ou le
défilé de personnages. Le prétexte narratif final me paraît d’autant plus
artificiel. Mais il s’agit d’une lecture aisée, les anecdotes absurdes
alternent avec les réflexions. Cela tient aussi à la capacité du narrateur,
pourtant ordinaire, à s’adapter à ses interlocuteurs et à être touché par leurs
difficultés, à se désoler de ne pouvoir les aider. L’apparente froideur de
l’écriture n’est pas dépourvu d’ironie, ou d’intonations critique sociale, et préfère
les petites gens perdus à ceux qui affiche leur domination.
Un roman sur la solitude de
l’individu dans le monde contemporain.
À la cantine
L’homme doit dénoncer l’absurdité
du monde et lutter contre, certes, mais quand on est un mâle, n’est-ce pas plus
digne de lutter pour quelque chose de plus… valorisant ? Ça fait pas
hypernoble de se révolter à cause des légumes servis à la cantine, c’est
carrément mesquin, à la limite. Délicat d’en faire La Grande Cause. Donc, pour
lutter contre quelque chose de valable, autant laisser passer courageusement ce
genre de futilités et manger leurs plats les yeux fermés.
Merci aux éditions Ginkgo pour
cette lecture. Je vous signale qu’il existe un concours d’écriture au Centre culturel coréen autour de ce livre.
Jacques Chirac disait lui que les emm... arrivaient toujours en escadrille.
RépondreSupprimerEn effet c'est assez étrange. J'aime bien le fantastique quand il est inséré dans un vrai projet narratif.
RépondreSupprimerC'est assez réussi et étonnant ici.
RépondreSupprimerJe recommande cette lecture, une jolie découverte de la littérature coréenne, pour moi. Nous avons eu les mêmes impressions, en gros, j'aurais aimé plus sur le narrateur, moins sur les symptomatiques; quoique, une fois dedans, on ne lâche pas.
RépondreSupprimerOui, au final cela se révèle très prenant.
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