La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 3 mars 2014

Chez cet être singulier, c’était presque tous les jours tempête.


Stendhal, Le Rouge et le noir, 1830.

Je viens de lire pour la 3e fois ce roman où Julien Sorel est le héros et c’est une relecture accomplie avec plaisir.

Parmi les héros pleins d’orgueil du monde stendhalien, Julien est peut-être celui que je préfère parce que c’est le plus pauvre et qui a les plus hautes ambitions, alors qu’Octave ou Lucien Leuwen ont simplement du mal à faire cohabiter leur idéal et leur fortune. Né un peu plus tard que le Fabrice de La Chartreuse de Parme, mais plein des souvenirs de la geste napoléonienne, il ne cesse d’espérer une carrière militaire, tout en étant promis par la médiocrité du temps à la cléricature. Dans ses rêves de gloire, Julien fuit le médiocre comme la peste, en bon héros romantique et absolu qu’il veut être.

La voilà donc, cette orgueilleuse, à mes pieds ! se dit Julien.

Fils d’un charpentier, avec quelques lettres, il entre comme précepteur chez madame de Rênal. L’amour qui l’unit à elle est d’une grande beauté. Puis, après un passage au séminaire de Besançon, Julien devient secrétaire chez le marquis de La Mole, un des hommes les plus en vue de Paris. C’est alors Mathilde, la fille de son protecteur qui attire tous les regards. La confrontation entre ces deux orgueils est un combat pas toujours compréhensible, mais passionnant.

Entre Julien et moi, il n’y a point de signature de contrat, point de notaire ; tout est héroïque, tout sera fils du hasard.

Je ne me souvenais pas de l’importance chez Mathilde de La Molle de l’imagerie médiévale et renaissance, elle puise ses modèles de comportement à une époque évoquée comme sincère et passionnée (en opposition à l’hypocrite XIXe siècle français) qui est aussi celle des Chroniques italiennes. En revanche, je me suis mieux débrouillée des grandes batailles politiques entre ultras ou libéraux, on ne peut qu’être frappé de l’importance chez Stendhal de l’évocation des classes sociales, notamment la bourgeoisie de province ou la grande aristocratie parisienne, avec leurs préjugés, leurs manières, leurs habitudes. La société est le lieu d’une lutte d’influences, le gouvernement est fragile et l’on sait que les ministères peuvent se renverser ou se conquérir facilement comme dans Lucien Leuwen.

Depuis la chute de Napoléon, toute apparence de galanterie est sévèrement bannie des mœurs de la province. On a peur d’être destitué. Les fripons cherchent un appui dans la congrégation ; et l’hypocrisie a fait les plus beaux progrès même dans les classes libérales. L’ennui redouble. Il ne reste d’autre plaisir que la lecture et l’agriculture.

Stendhal traduit la violence de ces rapports sociaux où les maîtres conforment les domestiques à leur vue si bien que, comme dans la Chartreuse, la prison, lieu à l’écart du monde et de ses luttes, se révèle un lieu de paix et d’amour, comme une thébaïde d’où l’on peut tout surplomber.
Je retiens les personnages, la vivacité de leurs personnalités, en particulier Julien, Mathilde ou l’abbé Pirard. Madame de Rênal a moins de relief que Mathilde de La Mole, son portrait est tout entier associé à la province, à la nature de la Franche-Comté, à la douceur et à la rêverie. J’aime aussi l’éclat des ambitions romanesques de Julien, imperméable à la petite mesquinerie de la vie quotidienne.

Au séminaire, il est une façon de manger un œuf à la coque qui annonce les progrès faits dans la vie dévote.

La langue est rapide, sans longue description. Si le temps de l’action s’arrête quelquefois, il n’y a jamais d’ennui. Les phrases courtes et les formules entraînent leur lecteur.
 
Tous les jours elle se félicitait du parti qu’elle avait pris de se donner une grande passion.
Cette expression « grande passion » apparaît aussi chez Lucien Leuwen, qui comprend qu’il ne réussira dans son ministère à Paris sans avoir une « grande passion » qui pose son homme.
  
Deux cent mille jeunes gens appartenant à la petite bourgeoisie sont amoureux de la guerre…

De l’importance de ne pas tomber de cheval quand on veut être un jeune héros stendhalien.





9 commentaires:

Eimelle a dit…

lu il y a bien longtemps, ça donne envie de s'y replonger!

Syl. a dit…

Quelle serait ma lecture aujourd'hui ? Depuis "Chéri", j'ai envie de relire mes classiques.
Je suis sûre que je ne m'arrêterai pas sur les mêmes choses.

nathalie a dit…

C'est toujours étrange et intéressant de faire des relectures.

Lili Galipette a dit…

Vive les relectures ! J'ai repris "La malvenue" de Seignolle. Et j'avais adoré "Le rouge et le noir" qunad je l'ai lu, à 12 ans. Faudra que je le relise il y a des choses qui ont dû m'échapper alors.

maggie a dit…

Je l'ai aussi lu plus de trois fois car c'est l'un de mes romans préféré ! J'adore l'ironie de l'auteur. Et aussi le personnage de Mathilde, très romanesque

nathalie a dit…

Je connais pas Seignolle (ou alors j'ai oublié) mais ce que tu en dis fait envie, Lili !
Maggie : je ne me rappelais plus justement de cet aspect romanesque de Mathilde, et pourtant c'est vraiment important.

Alex Mot-à-Mots a dit…

Depuis le temps que je me dis qu'il faut que je le relise....

Karine:) a dit…

Un des rares romans que j'ai lus à l'école. Et j'avais adoré, à la stupéfaction générale de ma classe. À lire ton billet, je crois que je serais due pour une relecture.

nathalie a dit…

La première fois je n'avais été fan, ne comprenant rien aux sous-entendus politique, à l'orgueil... Maintenant ça va mieux !