La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 16 janvier 2015

La mémoire des hommes, frappée d’un souvenir qui retentit à travers les siècles, rend à notre esprit l’histoire sensible et vivante.

P. Barbot, Les Promeneurs, Nantes, musée des beaux-arts, vers 1820
La Fabrique du romantisme. Charles Nodier et les Voyages pittoresques, catalogue de l’exposition tenue en 2014-2015 au Musée de la Vie romantique, Paris.

L’exposition est bientôt finie, mais il reste le catalogue, passionnant pour qui s’intéresse au romantisme.
Charles Nodier n’est pas connu, excepté de ceux qui s’intéressent à la vie des grands hommes du romantisme. Il a publié pas mal de textes pourtant, il a surtout tenu un brillant salon où se réunissaient les poètes, peintres, musiciens du temps. De ces réunions sont nées des œuvres (ah ! la sociabilité créatrice), des jeunes gens inconnus ont reçu un soutien, ceux qui avaient plus d’ambition se sont éloignés. Et tout le monde admirait Marie Nodier (déjà croisée ICI).

Parmi les amis de Nodier, le baron Taylor, encore moins connu. Une sorte d’entrepreneur culturel, propriétaire de théâtre et de diorama, créateur d’une caisse de mutuelle et d’assistance pour les artistes, parti en Espagne rafler des peintures pour constituer une collection espagnole pour le compte du Roi de France, chargé de transporter l’obélisque de Louxor à Paris, voyageur en Europe et en Orient et initiateur de ces Voyages pittoresques.
Taylor avait conçu le projet d’un vaste ouvrage qui ferait découvrir les merveilles de la France et qui inciterait à leur protection et empêcherait leur destruction (on est quelques années avant Mérimée). La rencontre avec le poète Nodier et l’invention de la lithographie vont rendre le projet possible.
Quelques chiffres : la parution s’étale entre 1820 et 1878, 23 volumes, dont seulement 3 rédigés par Nodier, 9 régions de France parcourues, 3000 lithographies, 182 artistes.

Manufacture Zuber, La Vigie de Koat-Ven, 1861,
papier peint, Paris, Musée des arts décoratifs
On peut lire les Voyages pittoresques sur Gallica. Pour ma part, j’ai regardé uniquement le premier volume, rédigé par Nodier, sur la Normandie. Il semble que les volumes ultérieurs auront moins la volonté de rendre des « impressions d’artiste » – le baron Taylor n’a pas ce regard-là.

Ce premier volume contient l’introduction à l’ensemble de la publication qui dresse les objectifs : aller à la découverte des monuments de la France. Le but est de dresser le portrait poétique et artistique de la France, en dehors de l’art antique (et des monuments romains) et de l’art de la Renaissance (qui se revendique trop de l’Antiquité et de l’Italie pour être honnête). L’idée est aussi de s’éloigner d’un art de cour et d’aller à la rencontre d’un art témoignant de l’enfance des peuples. Les églises médiévales porteraient un sentiment religieux plus sincère et touchant et sont en cela des témoignages intéressants. Les châteaux forts témoignent de mœurs rudes, disparues dans un XIXe siècle industriel et bourgeois, incapable de passions profondes. La Mathilde du Rouge et le Noir exalte ainsi une de ces ancêtres, selon une thématique comparable. Une modeste chapelle gothique permet de remonter les siècles et d’approcher la naïveté d’esprit des gens du peuple. En 2015, nous emploierions « authentique » à chaque page, mais il n’est pas encore à la mode à cette époque.
C. Bouton, Personnage lisant dans une ruine gothique,
Rouen, musée des beaux-arts
Le romantisme aime l’histoire, les romans historiques (de Walter Scott à Alexandre Dumas), la peinture troubadour, l’architecture médiévale, les châteaux, les cloîtres (Rêve de Monuments) et a un maître mot : pittoresque. Pittoresque ou, mot à mot, ce qui est digne d’être peint, ce qui retient l’attention. La génération romantique est fascinée par le monde disparu d’avant la Révolution et par le monde féodal. Foin de l’histoire scientifique ; il sera question de chevaliers, de moines, de jeunes filles, d’amoureux, de fantômes, de fées.

La star de cette publication est incontestablement la ruine. D’une part, parce que la plupart des édifices évoqués sont en ruine. D’autre part, parce que cette destruction en cours semble procurer un surcroît de pouvoir poétique et de puissance d’évocation. Les auteurs louent les visions de ces grands pans de murs se découpant sous la lune, habités par les oiseaux et les plantes. S’ils font mine de regretter la prochaine disparition d’un monument, ils regretteraient profondément sa restauration, sans parler de sa reconstruction, ou tout ce qui pourrait arracher un château au lierre qui le recouvre. Ils se font même un plaisir d’évoquer des bâtiments contemporains tels qu’ils apparaîtront plusieurs siècles plus tard, à moitié détruits, enfin pleins de poésie.
Abbaye de Saint-Wandrille
À cet égard, les illustrations sont révélatrices. Plusieurs d’entre elles montrent le bâtiment à demi écroulé, mais visités par des figures qui ne sont pas vêtues selon la mode du XIXe siècle, mais plutôt selon celle du XVIIe, voire selon un costume hypothétiquement médiéval. Le livre ne montre pas le bâtiment neuf, habité et utilisé, mais déjà comme un témoignage d’un temps lointain, comme si l’abbaye de Jumièges n’avait jamais été contemporaine de personne. Dans les volumes ultérieurs, le costume moderne fera son apparition.
Les monuments s’élèvent sur de grandes planches, sous un ciel orageux, isolés au sein d’une végétation spectaculaire, habités par des figures minuscules, écrasées par un château, suspendues au-dessus d’un gouffre béant, isolées dans un site à la végétation sauvage. C’est là le sublime, ce moment où l’être humain perçoit sa petitesse face aux forces de la nature, au temps qui passe et à la grandeur de civilisations disparues.

Nous ne marchons pas sur la trace de l’histoire. Nous ne l’appelons à concourir à nos émotions qu’autant qu’elle les fortifie de ses graves témoignages, et qu’elle agrandit encore par quelque récit imposant la majesté des monuments.

Une église transformée en écurie et remise.
 Quant à nous, derniers voyageurs dans les ruines de l’ancienne France qui auront bientôt cessé d’exister, nous aimons à peindre exclusivement ces ruines dont l’histoire et les mystères seraient perdus pour la génération prochaine.

Château de Tancarville

4 commentaires:

miriam a dit…

zut zut zut je vais manquer l'expo! elle se termine dimanche

nathalie a dit…

Argh ! Mais le catalogue n'est pas cher et très intéressant (même si l'expo vaut vraiment le coup).

claudialucia a dit…

Je ne savais même pas qu'il y avait cette expo qui a l'air intéressante. De Nodier, j'ai lu La fée aux miettes qui a exercé une grande influence sur les romantiques.

nathalie a dit…

J'avais lu des anecdotes, je crois, mais c'est tout.