La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 22 janvier 2016

Le démon disparut avec un chuintement, ne laissant derrière lui que quelques relents nauséabonds.

Andrus Kivirähk, Les Groseilles de novembre, traduit de l’estonien par Antoine Chalvin, parution originale en 2000, édité en France au Tripode.

Un roman déjanté – ça fait du bien.

Nous sommes en Estonie, à une époque ancienne où le paganisme se porte bien. Chaque paysan fabrique son kratt, à partir de quelques outils rouillés, le dote d’une âme en bernant le Diable – appelé Vieux-Païen – pour aller voler à droite et à gauche. Car, ici, certes, on cultive son champ, mais surtout on vole tout le monde, dès que l’on peut, et surtout les gens du manoir – le baron est allemand.
Le roman se déroule pendant chaque jour du mois de novembre, quand la neige commence à tomber, fond et retombe, quand diverses fêtes autorisent des débordements, mais aussi quand surgit la peste. On y croise toute la population : intendant et régisseur du manoir, un paysan et sa fille qui se déguise en loup, un simplet, un rebouteux, une sorcière…

Dans la pénombre du soir, un démon en forme de chien traversa la route. Il avait le corps si long qu’il mit au moins une demi-heure à passer.
« On voit vraiment de drôles de créatures ! » dit le granger en hochant la tête.

C’est une lecture farfelue, déroutante, où on ne sait jamais bien à quoi s’attendre. Le récit manque d’un peu de suite dans les idées. N’empêche que l’on se demande comment les villageois vont faire face à la peste, si Hans pourra séduire la fille qu’il aime, si les sorts et tours de passe-passe vont l’aider, si le fameux trésor sera découvert… C’est un monde terrestre et concret, où l’on vole l’argent et la nourriture, où l’on se bat facilement, où l’amour n’existe pas et où un kratt tout en neige fait figure de poésie.

Les gentilles créatures de Claude Ponti à Nantes.
Je dois dire que j’attendais beaucoup de ce roman. Si j’ai été ravie de ma lecture, je suis cependant restée sur ma faim. Heureusement, tout indique que le second roman de l’auteur, L’homme qui parlait la langue des serpents, tient toutes ses promesses.

Le village était minuscule, avec ses maisons éparpillées sous le ciel gris. Quelques kratts volaient dans le ciel, des suce-lait sortaient des étables, remplis jusqu’à la gorge du lait qu’ils avaient tété au pis des vaches, et rentraient chez eux en sautant lourdement comme d’énormes grenouilles. Au loin, dans une coupe rase, on voyait même le Vieux-Mauvais qui se grattait le derrière contre une souche barbue oubliée par un bûcheron négligent. Dans le marais s’allumaient déjà les premiers feux follets, qui indiquaient l’emplacement des trésors enfouis dans les trous d’eau.


6 commentaires:

  1. Un auteur repéré, surtout parce qu'il est paru au Tripode, et traduit par l'excellent auteur de Poésie du gérondif...

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  2. Je n'ai pas lu celui-là, mais L'homme qui parlait la langue des serpents, que j'ai beaucoup aimé, pour son originalité, et sa dimension à la fois épique et un peu glauque...

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  3. Je l'ai lu, il y a quelques mois. Le texte part dans tous les sens et le lecteur perd tous ses repères, cette sensation m'a beaucoup plu. Comme toi j'ai hâte de lire L'homme qui parlait la langue des serpents.

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