Guillermo Saccomanno, Basse saison, traduit de l’argentin par
Michèle Guillemont, parution originale en 2012, édité en France chez Asphalte.
Ce gros roman de 500 pages nous
emmène à la Villa, une station balnéaire imaginaire de l’Argentine. Tout
commence quand l’été vient de finir et s’achève à l’ouverture de la saison
touristique (attention, climat à l’envers du nôtre, il commence à faire bon en
novembre). Nous allons voir l’envers du décor.
Le roman s’organise par courts
passages de quelques lignes ou quelques pages et passe d’un personnage à
l’autre de façon à parcourir toute la ville : les trois familles qui la
tiennent, les riches, les pauvres, les prostituées, les femmes de ménage, la
coiffeuse… La figure de Dante traverse le livre, c’est un journaliste qui tient
la chronique des petits et grands faits, mais qui prend soin de ne pas tout
raconter, car tout est constitué de faits et de rumeurs. Cet envers du décor
n’a rien de reluisant : corruption, meurtres, bavures policières, drogue, pédophilie,
adultères, règlements de compte, dégringolades diverses et variées. C’est qu’il
s’agit de tenir bon jusqu’au retour des touristes qui sont les vaches à lait de
l’endroit. Par dessus tout cela flottent les fantômes de la Villa : un
enfant mort, des nazis réfugiés en Argentine fondateurs de la ville, les corps
des disparus de la dictature…
Tu peux me dire, ma grosse, ce qui s’affaisse pas à notre âge. Le cul, les nichons, tout. Y’a que les gencives qui remontent. Le pire, c’est de voir que chez les mecs aussi, ça s’affaisse.
La structure très particulière de
ce roman produit des effets contrastés. L’absence de fil narratif stable peut entraîner
une lassitude, même si cela n’a pas été trop mon cas. J’ai eu plus de mal à me
retrouver au milieu du nombre d’habitants dont il est question, même si
l’auteur fait évidemment exprès de perdre son lecteur. Je me suis attachée à
plusieurs des personnages, grands ou petits dans leurs drames. J’ai moins goûté
les considérations générales sur le destin de la ville. La réussite de
l’écriture apparaît quand, au bout d’un moment, la Villa finit par nous coller
aux pieds comme de la boue, car tous ces secrets sont bien poisseux et le
lecteur se sent un peu gluant.
Le lecteur hésite également entre
plusieurs positions : s’agit-il d’un hiver spécial pour la Villa où les
violences sont particulièrement nombreuses et remarquables ? Ou est-ce un
hiver ordinaire avec ces petits scandales habituels ? Tout cela
s’effacera-t-il après un nouvel été ? C’est fort probable, car le récit de
cette année-là condense des événements plus anciens comme si la photo mettait
côte à côte des personnes et des actions qui n’auraient pas pu se côtoyer. Ces
événements qui sont le cœur du roman doivent en réalité se répéter d’année en
année.
J’ai pris un grand plaisir à ma
lecture. Saccomanno dresse le portrait collectif d’une ville quand elle vit
sans la lumière des projecteurs, sans le soleil et sans l’argent des touristes.
C’est la Basse saison et chacun a
pour but de tenir bon jusqu’au retour de la haute – sachant que l’été revenu, le
soleil noiera tout et autorisera à tout oublier.
Après la Semaine sainte, le
dernier week-end prolongé, le dernier râle de l’été austral, le dernier geste
du désespéré qui n’a pas trouvé le salut pendant la haute saison, il pleut
toujours. Et en mai, autour de six heures et demi du matin, s’il ne pleut pas à
verse, il crachine. On a parfois un jour ensoleillé, mais la menace de tempête,
venue du sud, domine. Ce ciel gris, opaque, annonce ce qui vient. Le froid, la
bruine, le salpêtre. Le dernier touriste parti, les restaurants, les bars et
les magasins ferment. La Villa devient une cité fantôme.
Bon pour le challenge Amérique latine d'Eimelle.
un pavé , mais qui a l'air de valoir le coup!
RépondreSupprimerMerci pour le challenge!
Tu m'as motivée pour le lire assez vite !
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