Toni Morrison, Délivrances, traduit de l’américain par
Christine Laferrière, paru en 2015.
Un beau roman.
Au premier chapitre, une femme
qui se définit comme « une mulâtre au teint blond » accouche d’une
fille noire comme la nuit. À partir du deuxième chapitre, nous suivons la vie
de cette enfant devenue une magnifique jeune femme, Bride, splendidement belle,
femme d’affaires, mais venant de se faire larguer par Booker.
Je lui ai dit de m’appeler « Sweetness » au lieu de « Mère » ou « Maman ». C’était plus sûr. Être noire à ce point-là et avoir ces lèvres d’après moi trop épaisses qui m’appelaient « Maman », ça rendrait les gens perplexes. En plus, ses yeux ont une drôle de couleur, noir corbeau avec une nuance bleue, et aussi quelque chose de sorcier.
Le roman va nous raconter
quelques semaines de la vie de Bride. Sa mère n’a jamais été affectueuse avec
elle, la touchant le moins possible, mais la préparant efficacement à une vie
dure pour les noirs en Amérique et lui apprenant à rester droite parce qu’elle connaît
tous les obstacles qui l’attendent. Mais Bride s’est construite sur un
mensonge. Elle ressent le besoin d’affronter à nouveau Booker et se lance sur
ses traces.
J’ai lu ce roman avec beaucoup de
plaisir, peut-être grâce à son ambiguïté. Il me semble qu’il ne possède pas la
force ou la violence évidente des précédents romans de Morrison, car il prend
assez vite l’allure d’une belle romance. Le livre traite également la fragilité
du corps, de la beauté et de l’amour.
Soulages, 1986, Polyptyque F, Montpellier, Musée Fabre, M&M |
Comme le titre l’indique, les
personnages, quelque qu’ils soient, doivent parvenir à se délivrer d’eux-mêmes
pour trouver leur voie. Le chemin de Bride n’a rien de glorieux, puisqu’elle
commence par se faire tabasser, avant d’encastrer sa voiture dans un arbre – on
est loin du parcours idéal. De plus le lecteur se rend compte, malgré un grand
nombre de moments positifs, que des menaces innombrables planent sur les
enfants (et donc sur les jeunes parents) : racisme, pédophilie, violence,
silence coupable des adultes. Les familles semblent inexorablement déchirées.
Comme dans la vraie vie, chacun avance tant bien que mal dans un monde déchiré,
appelant sur soi et ses proches la bienveillance de la Providence.
La raison de cette poursuite
n’était pas l’amour, elle le savait : c’était plus la blessure que la
colère qui la poussait à se rendre en territoire inconnu afin de découvrir où
se trouvait la seule personne à qui elle avait jadis fait confiance, qui
l’avait fait se sentir en sécurité, colonisée, d’une certaine façon. Sans
Booker, le monde était plus que déroutant : superficiel, froid,
délibérément hostile. Comme l’ambiance qui régnait dans la maison de sa mère,
où elle ne savait jamais ce qu’il fallait faire ou dire, ni se rappeler quelles
étaient les règles.
Une lecture dont je garde un bon souvenir.
RépondreSupprimerOui, c'est une lecture très agréable.
SupprimerPas seulement agréable : bouleversante et qui interroge beaucoup, en tout cas pour moi.
RépondreSupprimerJe n'ai pas eu une lecture linéaire : à la fois le livre suit le trajet d'une romance, à la fois les menaces planant sur les enfants sont de plus en plus présentes, donc je suis passée par divers stades.
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