La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 10 avril 2017

La plupart des hommes qui viennent ici sont dépravés, alcooliques, violents et corrompus.

Owen Matthews, Nikolaï Rezanov. Le Rêve d’une Amérique russe, traduit de l’anglais par Bruno Boudard, parution originale 2013, édité en France chez Noir sur Blanc.

C’est passionnant !
Rezanov ne nous évoque pas grand-chose, mais le sous-titre laisse suggérer de quoi il s’agit : le livre raconte comment l’empire russe a eu l’espoir, le rêve, le désir de s’approprier les côtes américaines du Pacifique Nord. Les premières personnes à qui j’ai parlé de ce livre ont cru qu’il s’agissait d’un roman avec une idée originale, mais non ! Tout est vrai, c’est un livre d’histoire.

Matthews ne se contente pas de nous raconter vie de Nikolaï Rezanov (1764-1807), même si celle-ci est passionnante. L’homme est un pur produit de la cour de Saint-Pétersbourg, sa femme est fille d’une famille de marchands-aventuriers de Sibérie, il fait le tour du monde, échoue lamentablement à la cour du Japon, réside en Alaska, se fiance avec la fille du gouverneur représentant du roi d’Espagne à San Francisco (un fond de bled totalement paumé à l’époque). Le livre et l’auteur sont très bien documentés et nous présentent les diverses facettes d’une personnalité riche, instable, peu sympathique, paranoïaque, mais avec d’étonnants traits de génie. Mais le panorama embrassé est bien plus large et nous avons droit à une grande fresque mondiale : le rapport de l’empire russe à son « Est », l’importance financière énorme du commerce des fourrures (on est avant l’ère des doudounes), l’époque des explorations diverses (James Cook, La Pérouse), ce moment où les européens commencent à se partager le monde (en Alaska il n’y a personne = aucun blanc), les premiers ébranlements de l’immense empire espagnol, la lente constitution des États-Unis…
Il s’agit d’un projet politique de conquête de territoire, de l’Alaska à la Californie, d’un projet économique et commercial, mais Rezanov était accompagné de scientifiques apprentis ethnologues qui ont laissé des témoignages importants sur les peuples d’Hawaï, d’Alaska, de Californie. Autour de lui, on croise en effet des hommes des Lumières, mais aussi tout un monde de marins, d’explorateurs, de têtes brûlées. L'Amérique russe fut surtout peuplée d'alcooliques ultra violents,  vivant dans une misère noire. Rezanov, en dépit de sa propre folie, analyse d’ailleurs tout à fait lucidement le processus de conquête et de colonisation de l’Australie et de l’Inde par la Grande-Bretagne et soupçonne que la Russie échouera à en faire autant.
J. Sternfeld, Blind man in his garden, Homer, Alaska, October 1984, Pompidou, RMN.

Pendant ce temps, se déroulent la Révolution française et l’aventure napoléonienne qui recomposent l’Europe. À San Francisco, fondé en 1776, les Russes et les Espagnols qui discutent (en français et en latin, seules langues qui leur soient communes) ne savent pas très bien quel est l’état de la diplomatie de leurs deux pays : en guerre ou alliés ? Tout cela est si loin.
De cette aventure, il reste un opéra rock et des églises orthodoxes russes en Alaska. J’ai beaucoup aimé ce livre, car il nous ouvre l’esprit et nous montre les potentialités de l’histoire, ce qui aurait pu advenir si… avec tous les moments de bascule possible. On frôle l’uchronie.

Petit bémol : Une carte un peu plus précise n’aurait pas été du luxe, avec notamment avec les noms des peuples autochtones.

Tout comme aujourd’hui, la Russie était un territoire aux possibilités infinies, qui séduisait les étrangers en quête d’un nouveau départ, de frissons, de promotion sociale, d’enrichissement rapide, un pays où ils seraient libérés de leur passé ou lavés de leur disgrâce, voire les deux.






2 commentaires:

  1. je crois avoir croisé ce personnage dans un livre sur l'histoire de la Sibérie, mais je me trompe peut être il faut que je vérifie
    je note ce livre car je suis curieuse de ce qui touche à la Russie

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    1. Je pense que cela te passionnera également en effet. Ce sujet est une totale découverte pour moi.

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