Owen Matthews, Nikolaï Rezanov. Le Rêve d’une Amérique
russe, traduit de l’anglais par Bruno Boudard, parution originale 2013,
édité en France chez Noir sur Blanc.
C’est passionnant !
Rezanov ne nous évoque pas
grand-chose, mais le sous-titre laisse suggérer de quoi il s’agit : le livre
raconte comment l’empire russe a eu l’espoir, le rêve, le désir de s’approprier
les côtes américaines du Pacifique Nord. Les premières personnes à qui j’ai
parlé de ce livre ont cru qu’il s’agissait d’un roman avec une idée originale,
mais non ! Tout est vrai, c’est un livre d’histoire.
Matthews ne se contente pas de
nous raconter vie de Nikolaï Rezanov (1764-1807), même si celle-ci est passionnante.
L’homme est un pur produit de la cour de Saint-Pétersbourg, sa femme est fille
d’une famille de marchands-aventuriers de Sibérie, il fait le tour du monde,
échoue lamentablement à la cour du Japon, réside en Alaska, se fiance avec la
fille du gouverneur représentant du roi d’Espagne à San Francisco (un fond de
bled totalement paumé à l’époque). Le livre et l’auteur sont très bien
documentés et nous présentent les diverses facettes d’une personnalité riche,
instable, peu sympathique, paranoïaque, mais avec d’étonnants traits de génie.
Mais le panorama embrassé est bien plus large et nous avons droit à une
grande fresque mondiale : le rapport de l’empire russe à son « Est »,
l’importance financière énorme du commerce des fourrures (on est avant l’ère
des doudounes), l’époque des explorations diverses (James Cook, La Pérouse), ce
moment où les européens commencent à se partager le monde (en Alaska il n’y a
personne = aucun blanc), les premiers ébranlements de l’immense empire
espagnol, la lente constitution des États-Unis…
Il s’agit d’un projet politique
de conquête de territoire, de l’Alaska à la Californie, d’un projet économique
et commercial, mais Rezanov était accompagné de scientifiques apprentis
ethnologues qui ont laissé des témoignages importants sur les peuples d’Hawaï,
d’Alaska, de Californie. Autour de lui, on croise en effet des hommes des
Lumières, mais aussi tout un monde de marins, d’explorateurs, de têtes brûlées. L'Amérique russe fut surtout peuplée d'alcooliques ultra violents, vivant dans une misère noire. Rezanov, en dépit de sa propre folie, analyse d’ailleurs tout à fait lucidement
le processus de conquête et de colonisation de l’Australie et de l’Inde par la Grande-Bretagne
et soupçonne que la Russie échouera à en faire autant.
J. Sternfeld, Blind man in his garden, Homer, Alaska, October 1984, Pompidou, RMN. |
Pendant ce temps, se déroulent la
Révolution française et l’aventure napoléonienne qui recomposent l’Europe. À
San Francisco, fondé en 1776, les Russes et les Espagnols qui discutent (en
français et en latin, seules langues qui leur soient communes) ne savent pas
très bien quel est l’état de la diplomatie de leurs deux pays : en guerre
ou alliés ? Tout cela est si loin.
De cette aventure, il reste un
opéra rock et des églises orthodoxes russes en Alaska. J’ai beaucoup aimé ce
livre, car il nous ouvre l’esprit et nous montre les potentialités de
l’histoire, ce qui aurait pu advenir si… avec tous les moments de bascule possible.
On frôle l’uchronie.
Petit bémol : Une carte un
peu plus précise n’aurait pas été du luxe, avec notamment avec les noms des
peuples autochtones.
Tout comme aujourd’hui, la Russie
était un territoire aux possibilités infinies, qui séduisait les étrangers en
quête d’un nouveau départ, de frissons, de promotion sociale, d’enrichissement
rapide, un pays où ils seraient libérés de leur passé ou lavés de leur disgrâce,
voire les deux.
je crois avoir croisé ce personnage dans un livre sur l'histoire de la Sibérie, mais je me trompe peut être il faut que je vérifie
RépondreSupprimerje note ce livre car je suis curieuse de ce qui touche à la Russie
Je pense que cela te passionnera également en effet. Ce sujet est une totale découverte pour moi.
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