Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, publication
originale 2013, en France en 2014.
Un autre point de vue
sur l’histoire.
Il s’agirait donc ici
de parler de l’Arabe tué par Meursault. C’est du moins ce qui est dit. Ce roman
est un long monologue, tenu par un vieil homme dans un bar, le petit frère de
l’Arabe dont il nous donnera le nom. Daoud s’engouffre dans la littérature, la
prenant comme point de départ d’une réalité. Nous saurons qui était Moussa et
son petit frère, la vie de ce dernier dans l’Algérie de l’Indépendance. Ou pas.
Car en réalité le
narrateur (qui n’est pas sans évoquer celui de La Chute) parle de lui, de sa mère et lui, de son impossible deuil,
de la façon de vivre avec ce cadavre qui n’existe pas – car rien, rien, ne le
relit formellement à ce mystérieux « Arabe » qui apparaît dans le roman de
Camus. Il est question de l’Algérie colonisé, du départ en catastrophe des
colons, de la prise de pouvoir des vainqueurs, de la pauvreté, de la
décrépitude du pays et de la force des mots. Car le narrateur souhaite
s’approprier les mots de l’écrivain, de Camus, les mots des Français, les mots
des colons, les mots du pouvoir algérien aussi. Les mots sont son seul espace
de liberté dans un pays où boire du vin et ne pas prier sont désormais mal vu.
Le meurtrier est devenu célèbre et son histoire est trop bien écrite pour que j’aie dans l’idée de l’imiter. C’était sa langue à lui. C’est pourquoi je vais faire ce qu’on a fait dans ce pays après son indépendance : prendre une à une les pierres des anciennes maisons et en faire une maison à moi, une langue à moi. Les mots du meurtrier et ses expressions sont mon bien vacant.
Je ne suis pas
forcément à l’aise avec les logorrhées de ce type. Le narrateur m'est apparu
difficile à cerner, ainsi que ses émotions. Sa contre-enquête comporte
finalement peu de faits et beaucoup de ressassement. Le lecteur n'est pas très
à l'aise.
Mais j'ai apprécié la
façon dont Daoud se saisit de la langue française de la décolonisation, qu’il
qualifie de « créole », et à laquelle il donne un rythme particulier. Cette
langue pleine de rage semble pouvoir se lire à voix haute.
Finalement la réalité
de l’Arabe est toujours incertaine après la lecture de ce roman.
La nuit vient de faire tourner la
tête du ciel vers l’infini. C’est le dos de Dieu que tu regardes quand il n’y a
plus de soleil pour t’aveugler. Silence.
Je me demande si Daoud a vu L’Étranger de Visconti. On dirait bien que non.
A. Tüllmann, Immeuble d'habitation dans la banlieue d'Alger, 1970, Berlin BPK, RMN. |
Kamel Daoud, La Préface du nègre, recueil (complètement factice) de nouvelles
parues en 2008, en 2010 et 2011.
Des nouvelles qui parlent de
l’Algérie contemporaine et de la difficulté d’y grandir et de s’y faire sa
place. Le monde y semble fossilisé par les vétérans de la guerre d’Indépendance
et la seule voie offerte est celle de la religion. Pas de place à la jeunesse,
au corps, à l’espoir, à l’énergie, aux projets personnels ou aux femmes. Il mêle
le sarcasme et l’amertume. C’est qu’en Algérie il semble impossible de parler
d’autre chose que d’une guerre finie depuis bien longtemps.
Dans une belle langue très
poétique, peut-être un peu trop abstraite pour moi, Daoud s’adresse autant aux
Algériens qu’aux Occidentaux, et même à tous les habitants des anciennes
colonies. Une longue nouvelle rode autour des romans d’aventures, lointains
héritiers de la geste coloniale, dans leur quête d’exotisme, de terres vierges
et de sauvages à découvrir.
Je courus comme un nègre, puis
comme un Arabe, puis comme n’importe qui de ma race pour fuir sa race, puis
comme un animal inconnu qui a longtemps disparu et que la volonté de gagner a
fait réapparaître, puis comme…
Deux livres ! Eh bien merci pour ces avis, je n'ai pour ma part pas réussi à aligner quelque chose d'intéressant sur le recueil que j'ai lu.
RépondreSupprimerJ'ai vu l'auteur à Saint-Malo : quand il est en dédicace, il a en permanence un garde du corps derrière lui...
Lecture pas évidente du tout. Je l'ai loupé à Marseille mais les amis qui l'ont vu m'ont dit qu'il était, je cite, brillantissime. Apparemment il a fait une très forte impression. C'est peut-être l'écriture de fiction qui ne lui convient pas (d'ailleurs, ces deux textes ne sont pas vraiment des fictions).
SupprimerJe note tes réticences. J'aime beaucoup écouter Daoud lors de ses différentes apparitions télévisuelles, car il a en effet une acuité d'analyse passionnante, mais je ne l'ai jamais lu... je ne sais pas si je franchirai ce pas..
RépondreSupprimerOui il a une sacrée capacité d'analyse, totalement d'accord.
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