La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 15 juin 2017

Aujourd’hui, M’ma est encore vivante.

Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, publication originale 2013, en France en 2014.

Un autre point de vue sur l’histoire.
Il s’agirait donc ici de parler de l’Arabe tué par Meursault. C’est du moins ce qui est dit. Ce roman est un long monologue, tenu par un vieil homme dans un bar, le petit frère de l’Arabe dont il nous donnera le nom. Daoud s’engouffre dans la littérature, la prenant comme point de départ d’une réalité. Nous saurons qui était Moussa et son petit frère, la vie de ce dernier dans l’Algérie de l’Indépendance. Ou pas.
Car en réalité le narrateur (qui n’est pas sans évoquer celui de La Chute) parle de lui, de sa mère et lui, de son impossible deuil, de la façon de vivre avec ce cadavre qui n’existe pas – car rien, rien, ne le relit formellement à ce mystérieux « Arabe » qui apparaît dans le roman de Camus. Il est question de l’Algérie colonisé, du départ en catastrophe des colons, de la prise de pouvoir des vainqueurs, de la pauvreté, de la décrépitude du pays et de la force des mots. Car le narrateur souhaite s’approprier les mots de l’écrivain, de Camus, les mots des Français, les mots des colons, les mots du pouvoir algérien aussi. Les mots sont son seul espace de liberté dans un pays où boire du vin et ne pas prier sont désormais mal vu.

Le meurtrier est devenu célèbre et son histoire est trop bien écrite pour que j’aie dans l’idée de l’imiter. C’était sa langue à lui. C’est pourquoi je vais faire ce qu’on a fait dans ce pays après son indépendance : prendre une à une les pierres des anciennes maisons et en faire une maison à moi, une langue à moi. Les mots du meurtrier et ses expressions sont mon bien vacant.

Je ne suis pas forcément à l’aise avec les logorrhées de ce type. Le narrateur m'est apparu difficile à cerner, ainsi que ses émotions. Sa contre-enquête comporte finalement peu de faits et beaucoup de ressassement. Le lecteur n'est pas très à l'aise.
 Mais j'ai apprécié la façon dont Daoud se saisit de la langue française de la décolonisation, qu’il qualifie de « créole », et à laquelle il donne un rythme particulier. Cette langue pleine de rage semble pouvoir se lire à voix haute.
Finalement la réalité de l’Arabe est toujours incertaine après la lecture de ce roman.

La nuit vient de faire tourner la tête du ciel vers l’infini. C’est le dos de Dieu que tu regardes quand il n’y a plus de soleil pour t’aveugler. Silence.

Je me demande si Daoud a vu L’Étranger de Visconti. On dirait bien que non.

A. Tüllmann, Immeuble d'habitation dans la banlieue d'Alger, 1970, Berlin BPK, RMN.

Kamel Daoud, La Préface du nègre, recueil (complètement factice) de nouvelles parues en 2008, en 2010 et 2011.

Des nouvelles qui parlent de l’Algérie contemporaine et de la difficulté d’y grandir et de s’y faire sa place. Le monde y semble fossilisé par les vétérans de la guerre d’Indépendance et la seule voie offerte est celle de la religion. Pas de place à la jeunesse, au corps, à l’espoir, à l’énergie, aux projets personnels ou aux femmes. Il mêle le sarcasme et l’amertume. C’est qu’en Algérie il semble impossible de parler d’autre chose que d’une guerre finie depuis bien longtemps.

Dans une belle langue très poétique, peut-être un peu trop abstraite pour moi, Daoud s’adresse autant aux Algériens qu’aux Occidentaux, et même à tous les habitants des anciennes colonies. Une longue nouvelle rode autour des romans d’aventures, lointains héritiers de la geste coloniale, dans leur quête d’exotisme, de terres vierges et de sauvages à découvrir.
  
Je courus comme un nègre, puis comme un Arabe, puis comme n’importe qui de ma race pour fuir sa race, puis comme un animal inconnu qui a longtemps disparu et que la volonté de gagner a fait réapparaître, puis comme…



4 commentaires:

  1. Deux livres ! Eh bien merci pour ces avis, je n'ai pour ma part pas réussi à aligner quelque chose d'intéressant sur le recueil que j'ai lu.
    J'ai vu l'auteur à Saint-Malo : quand il est en dédicace, il a en permanence un garde du corps derrière lui...

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    1. Lecture pas évidente du tout. Je l'ai loupé à Marseille mais les amis qui l'ont vu m'ont dit qu'il était, je cite, brillantissime. Apparemment il a fait une très forte impression. C'est peut-être l'écriture de fiction qui ne lui convient pas (d'ailleurs, ces deux textes ne sont pas vraiment des fictions).

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  2. Je note tes réticences. J'aime beaucoup écouter Daoud lors de ses différentes apparitions télévisuelles, car il a en effet une acuité d'analyse passionnante, mais je ne l'ai jamais lu... je ne sais pas si je franchirai ce pas..

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    1. Oui il a une sacrée capacité d'analyse, totalement d'accord.

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