La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 10 novembre 2017

Elle est athée, la garce, farouchement athée.

Philippe Jaenada, La Serpe, 2017.

Un livre déjà lu par beaucoup.

En 1941, près de Périgueux, un homme, Henri Girard, un sale type, est accusé du triple meurtre de son père, de sa tante et de leur bonne, hideusement massacrés à la serpe. Tout l’accuse. Défendu par le grand avocat Maurice Garçon, il est miraculeusement acquitté et échappe à la guillotine. Après un séjour en Amérique latine, il reviendra en France et se fera connaître sous le nom de Georges Arnaud, par un roman, Le Salaire de la peur.

On attend les crimes, les coups de serpe, la barbarie et le mystère, j’en ai bien conscience, pardon, mais ça ne va plus tarder – dans Jacques le Fataliste, ou poireaute (gaiement, mais tout de même) jusqu’aux dernières pages pour que Jacques raconte enfin à son maître comment il a relevé le jupon de la belle Denise sur ses cuisses pour lui enfiler une jarretière, rien de plus, on acclame Diderot à juste titre, j’estime qu’on ne peut pas m’en vouloir.

J’ai beaucoup aimé cette lecture. Mon goût pour les romans policiers n’a pas été déçu. J’attendais la référence au Vif du sujet (amateurs de France Culture, bonjour !) et elle était bien là. Jaenada ne se contente pas de reconstituer, de présenter les pièces et de proposer une nouvelle hypothèse. À mon avis, une des réussites est l’ordonnancement de l’ensemble. Tout commence quand Jaenada quitte Paris pour Périgueux et qu’il raconte la vie d’Henri Girard. 100 pages plus loin, il est rendu dans le Périgord et au bout de la vie de son héros – il n’a encore rien dit du drame. À un peu plus de 200 pages, Jaenada erre dans les rues de Périgueux et a raconté pourquoi la culpabilité de Girard ne fait aucun doute. C’est donc là que tout commence... par la consultation du dossier judiciaire. De toute façon, les archives contiennent toujours l’extraordinaire de la vie, croyez-moi. Cette construction, lente et patiente, amène doucement le lecteur au moment du triple meurtre, tout en jouant avec ses émotions. C’est extrêmement habile.

À Paris, un serveur de bar-PMU haussera les épaules, au mieux, du moins ne répondra pas du tac au tac si un client qu’il ne connaît pas lui demande un ballon de blanc et, par exemple : « Excusez-moi, je viens de Narbonne, le docteur Petiot, c’est bien soixante victimes ? » Ici, ma démarche paraît aussi naturelle que si je m’intéressais à un meurtre commis la semaine dernière. L’histoire a persisté, s’est figée, comme une tradition.
Pollock, Sans titre, 1938-41, crayon, Met.

C’est ainsi que l’auteur nous plonge lentement dans l’ambiance de la société corsetée et hiérarchisée de l’avant-guerre et dans  l’atmosphère de la guerre.
La mise en scène de soi par l’auteur fait également partie du livre. Nous suivrons tous ses émois, soucis automobiles, repas, souvenirs de vacances et réflexions impromptues. Jaenada n’est ni Hercule Poirot ni Truman Capote et se présente avec une simplicité bonhomme (à laquelle il ne faut peut-être pas se fier) : que va-t-on penser de lui s’il demande ceci ou cela ? C’est ainsi que le lecteur accepte de le suivre dans cette longue quête, sur la piste de cadavres qui ont largement eu le temps d’être oubliés. Ce narrateur retors et affectueux, qui joue sur le suspense et les clichés, à l’air plus ou moins inspiré, adopte une pratique outrancière de la parenthèse, pour enserrer au mieux tous les détails et toutes les coïncidences (et il y a toujours des coïncidences, surtout dans un roman policier).

Je ne sais pas par où commencer, je suis devant une montagne d’informations empilées, un mont Blanc de notes, de certitudes, de démentis, de constatations, de procès-verbaux, de rapports et de déclarations, de voix et de gestes – mais un mont Blanc plein de défauts, et de trous, de bas en haut, un mont Blanc instable et louche.

Et l’enquête dans tout ça ? L’auteur met bout à bout l’ensemble des interrogatoires, procès-verbaux et lettres. Il échafaude des hypothèses, s’arrête sur un détail et propose des explications. Bien sûr son raisonnement est plutôt convaincant. Tout roman policier repose sur un art de la narration, qui enveloppe le lecteur qui n’ira pas relire quelques pages en arrière ou vérifier de ses propres yeux. Bref, à la fin du livre, on est convaincu de connaître le nom du coupable ! Ce n’est peut-être pas l’essentiel d’ailleurs. Ce qui importe, ce sont plutôt ces vies brisées, les trois morts horribles, les corps baignant dans leur sang, Henri Girard, soupçonné, emprisonné, sauvé de justesse et la justice qui n’a jamais été rendue. Le récit se fait particulièrement poignant quand il s’agit de citer les lettres entre Henri Girard et son père. Ces deux-là s’aimaient beaucoup.

Un roman passionnant, qui cramponne son lecteur.

Je m’approche mais je ne me sens pas bien, je me tiens debout à l’endroit où il était recroquevillé par terre, en sang. Le vieux Georges. (« Mange, mon petit, dors, et ne pense à rien qu’à la vie qui commence pour toi et qui est toute devant toi. Je t’aime, je t’embrasse encore et encore. ») Voilà, j’aime bien les faits divers, le sordide ne me dérange pas a priori, mais en réalité, honnêtement, ça dépend : quand on a le sentiment de connaître quelqu’un, même si ce n’est pas vrai, quand on s’est attaché d’une façon ou d’une autre, ce n’est plus la même histoire. Ça désole, ça blesse, le sordide dégoute.

Merci Alfie pour m’avoir passé le livre !

L’avis de Sandrine qui parle très bien du style de Jaenada.



10 commentaires:

Sandrine a dit…

Et quel plaisir de le voir enfin récompensé ! Je l'ai déjà prêté deux fois ce livre, je ne sais pas s'il reviendra chez moi mais j'aime toujours discuter avec les gens qui le lisent, surtout ceux qui découvrent Jaenada. Pas besoin de 100 pages pour savoir si on accroche ou pas, moi, je suis fan. Quel auteur français aujourd'hui se reconnaît grâce à son style ?

keisha a dit…

Je suis aussi fan de chez fan (de plus j'ai rencontré deux fois l'auteur (et achat et dédicace) et c'est un ami d'auteur que j'aime, que demander de plus? Ah si, oui, son bouquin est formidable

Sylvie a dit…

Je note donc ce titre. Merci.

nathalie a dit…

Je ne connais pas assez la littérature française actuelle, mais j'espère qu'il y en a d'autres ! Ah si, il y a Volodine. En tout cas, c'était une belle découverte ! Merci de ton enthousiasme.

nathalie a dit…

Tu as tout dit.

nathalie a dit…

Voilà !

Leduc Malorie a dit…

Ca semble plutôt intéressant. J'hésitais à le lire mais ton billet m'a convaincu. Je le lirais donc prochainement.

nathalie a dit…

Sinon le billet de Sandrine est très convaincant aussi. J'espère que ce livre te plaira !

Lili Galipette a dit…

Absolument pas pour moi... Les romans policiers, pas du tout ma cam' !

nathalie a dit…

Effectivement tu ne me parais pas dans la cible... Il y a une part de jeu à accepter à la fois dans les romans policiers et à la fois chez cet auteur en particulier.