La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 9 avril 2018

Ils s’engageaient confiants dans l’étroit couloir du bonheur, en croyant aux rhododendrons de leur passion.

Éric Chevillard, Défense de Prosper Brouillon, 2017, éditions Noir sur Blanc.

Un petit livre pour rigoler sur la littérature !
Le narrateur nous l’annonce : il va aller à l’encontre de tous ces critiques littéraires grincheux et rabougris et prendre la défense du génialissime romancier ultra populaire Prosper Brouillon, en citant et commentant abondamment son dernier opus, Les Gondoliers. Il s’agit tout autant de se moquer des critiques littéraires, des romanciers qu’ils soient populaires ou non, des lecteurs - sont-ils réellement la dupe de ces crétins ? Mais les éditeurs qui publient les plus grandes âneries du monde sans les lire ne sont pas oubliés.

Le récit est d’abord confié à Victorine qui raconte la première rencontre des deux protagonistes et futurs tourtereaux, Polo et Reine, cet « Einstein de l’orgasme » et cette « Mère Teresa du cul », comme elle se plaît à les surnommer - raccourcis clavier saisissants dont Brouillon a le génie, mais qui ne doivent pas nous faire oublier son talent tout aussi prodigieux pour les longueurs fastidieuses.

Et il y a les fameuses citations tirées des romans de Prosper Brouillon. Elles sont d’une extraordinaire bêtise. Le plaisir du lecteur s’accroît quand le poteau rose est dévoilé et qu’il comprend qu’elles sont toutes extraites de vrais romans français récents. Qu’il est facile de démolir n’importe quel grand ou petit roman avec une phrase, un cliché ou une formule... discutable, voire dépourvue de tout sens commun (mais sérieux ! on a imprimé de telles bêtises ?). Le génie du narrateur Chevillard est de les prendre au sérieux pour en montrer toute l’absurdité. C’est très très très drôle.
Être de mauvaise foi est un métier et nous en avons ici une parfaite démonstration. C’est un livre brillant qui a fait rire ma sœur aux larmes – ça me paraît une recommandation suffisante.
 
Détail d'une Dormition de la Vierge en bois , XVe siècle, Cloisters.
J’ose espérer que les nombreux extraits des Gondoliers que je cite dans ces pages sauront au moins convaincre les lecteurs les plus réfractaires à l’œuvre de Brouillon que son style est unique. On le reconnaîtrait entre mille. Telle l’empreinte profonde du verrat dans la boue de la bauge, sa patte ne peut être confondue avec aucune autre. Si vous rencontrez un personnage « protégé d’humour », « crêté d’orgueil », « émergé du ridicule », « troué de chagrin » ou « éreinté de faux-semblants », vous êtes à n’en pas douter dans un livre de Prosper Brouillon. Si la nuit est « gonflée de ressac », si les prés de la campagne heureuse sont « jonchés de chevaux » bien campés sur leurs quatre pattes et qui paisiblement broutent comme le fut la morne plaine de Waterloo de canassons éventrés, il n’y a pas à s’y tromper, notre auteur est à la manœuvre.

L’avis de Keisha



4 commentaires:

  1. Chevillard caustique, un brin cruel, mais drôle et talentueux... Fort heureusement je n'ai pas reconnu la prose d'auteurs que j'aime!

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    1. Moi non plus, mais dorénavant nous serons attentives aux Einstein de l'orgasme !

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  2. Je l'ai justement repéré chez Keisha ! Il est évidemment noté depuis. J'adore l'ironie décapante et déjantée de Chevillard !

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