Jean Giono, Deux Cavaliers de l’orage, 1965.
Ce petit roman nous raconte l’histoire des Jason, une famille vivant dans les hautes collines, et surtout celle des frères Jason, Marceau et Ange, surnommé Mon Cadet. Ces deux frères s’aiment depuis toujours, sont inséparables et s’impressionnent mutuellement. C’est l’histoire de leur vie, de leur naissance à leur mort. Ils sont maquignons de chevaux et de mulets, d’une force étonnante, ils aiment se battre et sont leur raison d’être. Autour d’eux, la nature est féroce.
Ici, « l’Ouest » c’est cette porte effondrée par où le vent pénètre avec ses agacements et d’où l’on peut se pencher sur la plaine gris d’entre les magnifiques feuillages noirs des chênes, et qui donne la forte envie de rester ici et d’y vivre avec ses propres joies.
Giono n’est pas un écrivain réaliste. Si tout se passe dans une ferme de Haute-Provence et s’il est question des herbes, des odeurs, des bruits, du vent et de gestes disparus, il raconte avant tout un drame auquel tout l’univers participe. Il part de loin, il a besoin de convier toute la nature, la pluie, l’orage, la neige, les chevaux pour raconter ce qui se joue à l’intérieur de ces deux êtres. C’est un roman à l’atmosphère de plus en plus sombre au fur et à mesure que les combats se font plus violents et qu’évolue la relation étrange entre Mon Cadet et Marceau.
Leur amour est plein d’ambiguïté. Le récit laisse une large place au corps chez ces paysans, qui soupèsent les muscles, les bras, les cuisses, mesurent le cou, qui s’admirent mutuellement. Une grande attention est portée à tous les détails du corps, ce dernier pouvant être vu de très près lors des combats.
A. Mauve, Le retour du troupeau, 1886, musée de Philadelphie. |
Je retiens notamment un passage formidable où quatre femmes arrangent la viande du cochon. L’animal a été tué, il s’agit à présent de préparer la viande sous diverses préparations pour pouvoir la conserver, mais il ne sera question d’aucun verbe un peu technique. Tout ce que nous saurons, c’est que les femmes malaxent la viande et ajoutent du poivre… Autour de ce malaxage mystérieux se tient un très long dialogue où il est question de ce que font les hommes, de l’avenir que l’on peut lire dans les tripes des animaux et du malheur qui va s’abattre d’on ne sait pas où. Le tout à la lueur du feu de cheminée. On est dans le théâtre ou le cinéma.
Une fasciation irrésistible pour la violence.
On n’entend que les renards ou des bêtes qui traversent le cliquettement des pierrailles plates, et tout se tait quand elles ont entendu votre bruit sur le chemin ; et parfois il suffit de votre odeur, même pas le frottement de votre jupe quand on revient des fois du village pour être allée chercher, toujours pareil, du sel, du sucre et du tabac. Et dans ces parages vous vous croyez seule ; mais non : même sans bruit, mais quand tout fait silence. Surtout quand tout fait silence. Les bêtes sont couchées près de vous, près de l’endroit où vous passez. Vous passez et elles suivent votre pas quand il s’approche, quand il passe, quand il s’éloigne, avec des yeux verts cachés dans les feuilles vertes ; et des oreilles vertes qui se pointent sur votre bruit, et des naseaux verts qui avalent votre odeur et qui se retroussent sur quelques dents blanches.
Merci Annette pour la lecture !
un des textes surprenants de Giono, il y a en effet une telle violence que par moment on est un peu asphyxié c'est une des Chroniques que j'aime malgré sa dureté
RépondreSupprimerC'est exactement ça ! Il y a un appel au sang qui est terrible.
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