La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 21 juin 2018

Sûr que le Seigneur nous a dotés d'un bon berger.

James Baldwin, La Conversion, traduit de l’américain par Michèle Albaret-Maatsch, parution originale 1953, édité en France par Rivages.

Dans une première partie nous faisons connaissance avec John, le jour de ses quatorze ans, qui vit avec sa famille à Harlem dans les années 30. Il s’interroge sur la voie qu’il compte suivre : celle du Seigneur ou l’autre, qui ne semble pas très bien définie, mais qui le conduirait à s’opposer violemment à son père. Puis nous voici samedi soir, à l’église, et nous plongeons dans l’intimité des pensées de la tante, du père et de la mère de John, en remontant le fil de leurs souvenirs et de leurs secrets. Chacun d’eux oscille entre le péché et Dieu.

L’âme demeurait en suspens, muette, dans le silence, le vide et la terreur qui séparaient les vivants des morts.

Voilà un livre puissant, sombre et très prenant, qui part dans les tréfonds de l’âme humaine. Jeune homme débauché devenu prédicateur, femme amoureuse, femme abandonnée, enfant balloté de famille en famille, dans un monde où les noirs craignent d’être lynchés, ont toujours tort face à la police, partent en masse vers le Nord du pays et travaillent pour un salaire de misère. Le cœur du roman est constitué par la lutte de chaque individu avec Dieu. C’est que ce n’est pas le christianisme européen : ici l’on chante en s’accompagnant d’un tambourin, on prêche, on gémit, on crie, on entre en transe, on est terrassé et on se relève. Le texte de la Bible, notamment celui de l’Ancien testament, sert de parabole pour raconter la vie des noirs aux États-Unis et pour donner des indications sur la vie personnelle. Se libérer de l’esclavage comme l’on sort de l’Égypte, se libérer du démon comme l’on traverse le désert. 

I a pas de petites ou de grandes fautes, intervient sœur McCandless. Satan, i glisse son pied dans la porte et i reste pas en place tant qui l’est pas entré dans la pièce. T’es dans le Verbe ou tu y es pas – y a pas de demi-mesure avec Dieu.

Le ton du roman est particulièrement sombre, même si la lumière de la présence divine est toujours visible, même vacillante, même éloignée, en raison du poids terrible du péché qui pèse sur chacun. Un rapport difficile et malsain au désir et à la sexualité, et même à l’amour, la dénonciation de l’orgueil de ceux qui se détournent de Dieu, la lutte permanente entre les aspirations individuelles d’émancipation et le poids de la contrainte sociale et de la peur de la damnation. Chacun apparaît aussi désespérément seul, les liens avec la famille étant ténus, fragiles, cachant des secrets, des rancœurs, des haines inexpliquées, l’absence d’amour véritable ou un amour très maladroit. Chaque individu s’affronte directement aux ténèbres les plus intimes de son âme et peut voir avec terreur la damnation ouverte sous ses pas.
J. Lawrence, La bibliothèque, 1967, PAFA.
Il s’efforça de fuir – ces ténèbres, ces gens – pour gagner la terre des vivants, là-haut, si loin. La peur était sur lui, une peur plus dévastatrice que tout ce qu’il avait connu jusque-là, tandis qu’il se tournait et se retournait dans les ténèbres, tandis qu’il se lamentait, chancelait et rampait à travers les ténèbres sans trouver la moindre main, la moindre voix, la moindre porte.

Mention spéciale pour les dialogues. Ce que cette langue est vivante !

Elle soupira et se détourna légèrement pour regarder par la fenêtre. « Ton papa te bat passe qui t’aime. »
Roy éclata de rire. « C’est pas le genre d’amour que je comprends, la mère. Et qu’est-ce tu crois qui me ferait si i m’aimait pas ?
- I te laisserait continuer tout droit, riposta-t-elle aussitôt, tout droit jusqu’en enfer où on dirait que t’as décidé d’aller de toute façon ! Tout droit, mon petit monsieur, jusqu’au jour où quéqun te collera un coup de couteau ou de flanquera en prison.





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