La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 23 octobre 2018

Assis sur le divan il la regarde, effaré et perdu.

Dino Buzzati, Un amour, traduit de l’italien par Michel Breitman, parution originale 1963.

Antonio Dorigo, architecte milanais de 49 ans, s’éprend terriblement de Laïde, une petite prostituée d’une vingtaine d’années, aux longues jambes, à la fois orgueilleuse et un peu canaille. Elle le laisser payer, la voir, coucher avec elle, mais ne lui manifeste aucune tendresse. Le roman raconte cette passion, cet amour, cette jalousie féroce, qui ne peut mener à rien d’heureux, on le sait dès le départ.

Une demi-heure, une heure au maximum avec lui, deux ou trois fois par semaine. Mais le reste ? Toutes les autres heures de sa journée et de sa nuit ? Où allait-elle ? Qui fréquentait-elle ? Sa véritable vie, ses espoirs, ses plaisirs, ses joies, ses ambitions, ses amours se trouvaient ailleurs, jamais dans les brefs moments passés avec Antonio.

Sur un sujet qui m’intéresse peu, et plutôt rebattu, Buzzati parvient à tenir en haleine son lecteur alors même qu’il ne se passe pas grand-chose. Le moment où Dorigo ressentira le déclic qui lui permettra de rompre est attendu avec impatience, il s’annonce, il est repoussé, il est là… Ce récit d’une catastrophe annoncée est mené d’une main de maître et entremêle les faits, les rêves et cauchemars du héros, la description de sa douleur et de sa folie. J’ajoute que les dernières pages adoptent un ton totalement différent, font brièvement émerger le point de vue de Laïde et peut-être… peut-être que quelque chose d’inattendu se produira, mais rien ne sera dit.
Tout cela se passe dans le Milan des années 60, un monde gris d’usines et de bureaux, profondément sexiste, où une partie de la population croupit dans la misère tandis que d’autres occupent des appartements modernes.
Une histoire déchirante, pleine d’émotions, de chagrin, d’autodestruction et de larmes.
 
G. de Chirico, Le duo, 1914, Moma.
De quel intérêt serait une falaise, une forêt, une ruine si une attente n’y était implicitement contenue ? Et attente de quoi, de qui, sinon d’elle, de la créature qui pourrait nous rendre heureux ? Quel sens aurait le vallon romantique tout couvert de rochers et de sentiers mystérieux si notre imagination ne pouvait y conduire au soir celle que nous aimons dans une promenade emplie de chants d’oiseaux mélancoliques ? Quel sens aurait la muraille des anciens pharaons si l’on ne pouvait dans l’ombre de leur repaire affabuler sur une rencontre possible ? Et qu’importerait pour nous ce petit coin d’un village flamand, ou le café de boulevard, ou le souk de Damas, si l’on ne pouvait supposer qu’un jour là aussi ellepourrait passer, y laisser une bribe de vie ?

Dino Buzzati sur ce blog :

4 commentaires:

eeguab a dit…

Même le nom du personnage fait penser au lieutenant. Et dans ton extrait le thème de l'attente, inéluctable. Et l'art de Chirico convient à merveille.

nathalie a dit…

Mais tu as raison ! Je suis vraiment aveugle pour ne pas l'avoir vu. Il faut dire que j'ai nettement préféré le Désert à celui-ci.

Cleanthe a dit…

J'aime beaucoup Buzzati, mais je ne connaissais pas ce roman. Je note. Ca m'a l'air tres bien.

nathalie a dit…

J'ai encore un titre sur l'étagère...tiens toi prêt !