La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 19 octobre 2018

Traversée de mille sensations, je n’en retenais aucune et demeurais vide, les oreilles emplies de bourdonnements.

Amy Liptrot, L’Écart, traduit de l’anglais par Karine Reignier-Guerre, parution originale 2016, édité en France par les éditions Globe.

La narratrice, 30 ans, une grande bringue, raconte ses années de vie folle à Londres (la musique, les bars, la drogue, le sexe, les boîtes et surtout l’alcool) et sa lutte pour arrêter de boire. C’est un récit rétrospectif, car elle se trouve dorénavant dans les îles des Orcades (tout là-haut au nord), là où elle a grandi, d’où elle est partie, mais là où elle parviendra peut-être à se reconstruire.
Ce très beau livre (il n’est écrit nulle part qu’il s’agit d’un roman) séduit tout d’abord par la vertu d’un nom : les Orcades. De ces îles, je ne connaissais que les sites préhistoriques, mais ici nous apprenons plein de choses sur leur histoire, leur faune et flore, leur mode de vie. Toutefois, le sujet est bien plus la dépendance à l’alcool. La narratrice raconte son irrémédiable solitude à Londres, son impossibilité de vivre sans l’alcool, sa déchéance, puis le déroulement de sa cure aux Alcooliques anonymes, et surtout sa vie après. L’alcool laisse un vide qu’elle doit combler à tout prix : les cigarettes, le temps passé sur Twitter, la nage, la marche, l’utilisation frénétique d’applications, la documentation amassée sur tous les sujets (les oiseaux, les courants marins, les vikings, les nuages, l’astronomie…), pour emplir ce corps et cet esprit de façon compulsive. Elle décrit extrêmement bien la place prise par cette maladie. Tout à la fois fragile et déterminée, j’ai sans cesse tremblé pour elle que l’on sent marcher sur un fil, craignant toujours qu’elle ne retombe. Jusqu’au bout elle restera vulnérable.

Mes proches ont beau m’assurer que « j’ai l’air en pleine forme », je sais bien, moi, que j’ai encore du chemin à faire. Je connais de longues nuits de chagrin ou d’insomnie, où je devine mon cœur entaillé par une plaie qui ne guérit pas. Je me demande alors si la douleur cessera un jour, si je parviendrai à panser la blessure. Dans ces moments-là, l’alcool se présente encore comme une solution. « Devenir sobre » n’est pas l’acte d’un jour après lequel tout s’arrange, mais un long et laborieux processus de reconstruction, marqué par des désirs contradictoires, des phases de doute et de déception.

Le râle des genêts qui joue un rôle essentiel dans le livre. Wiki image.
Et pour écouter la bête c'est ici.
Heureusement il y a les Orcades. Les heures passées à guetter le cri d’un oiseau en voie de disparition. Le vent qui envahit tout. La nage avec les phoques. Un mode de vie au bout du monde, connecté à internet, aux avions et aux énergies renouvelables. La vie dans cet environnement rude n’est pas idéalisée. Rien n’empêche d’y boire, de sombrer dans la dépression ou d’être violent, mais elle n’a rien à voir avec celle des très grandes mégalopoles. On y trouve des considérations passionnantes sur les souris, les oiseaux, les petites herbes, les moutons… Et aussi un immense grand bol d’air, d’embruns et d’oxygène.
C’est sans doute parce que mon père est mort à cause de l’alcool, mais ce livre m’a vraiment touchée. Heureusement, le souffle de l’espoir devient peu à peu plus puissant et rassurant.

Dans les Orcades, le vent souffle en permanence. À la ferme, les vents d’ouest sont les plus éprouvants : ils transportent la mer avec eux et peuvent déplacer des tonnes de rochers en une seule nuit. Au réveil, le paysage familier s’en trouve modifié. Les vents d’est, en revanche, se révèlent parfois d’une beauté stupéfiante : quand les rafales soufflent à l’encontre de la marée, elles décapitent la crête des vagues, faisant jaillir une étincelante canopée de gouttelettes qui brillent au soleil.

Un labbe parasite.
Encore une autrice !
Lu dans le cadre des matchs de la rentrée littéraire. #MRL18 #Rakuten Merci à Rakuten de se charger de cette énorme opération !




6 commentaires:

keisha a dit…

J'ai beaucoup aimé, non ce n'est pas un roman , et j'aime autant, de plus c'est bien écrit. Et bourré de nature, petites bestioles et grand vent!

nathalie a dit…

J'ai vu que tu avais aimé oui. Effectivement après les 100 1e pages un peu sombres, cette arrivée du vent et des oiseaux est bienvenue !

claudialucia a dit…

Le sujet est effectivement très douloureux et encore plus si l'on a été confronté à ce problème. La description des Orcades à l'air très vivante. C'est un voyage que j'aimerais faire.

nathalie a dit…

Des Orcades je ne connaissais que des documentaires sur l'archéologie préhistorique. Ce doit être un voyage magique, mais à faire en prenant son temps pour s'imprégner du territoire ! (et pas en hiver pour ma part)

Lili a dit…

C'était aussi un de mes 3 choix pour les matchs de la rentrée littéraire ! Finalement, ce n'est pas celui-ci que j'ai eu le plaisir de lire mais j'y viendrai forcément. Le fond et la forme persistent à m'attirer !

nathalie a dit…

Je dois déjà le prêter à 2 personnes, le sujet a l'air de plaire !