La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 29 novembre 2018

Tu es un poète et tu ne crois pas à l’amour.

James Baldwin, Retour dans l’œil du cyclone, traduit de l’américain par Hélène Borraz, articles parus de 1960 à 1985, édité par Christian Bourgois (le recueil n'existe pas aux USA).

Retour à Baldwin. Ces différents articles nous permettent d’accéder à la pensée de Baldwin sur les États-Unis, leur histoire, le racisme, la ségrégation et autres misères de l’homme contemporain. Autant le dire, je ne suis pas familière du sujet (moi, peau blanche vivant en France), que j’approche depuis peu grâce à divers romans, documentaires et expositions. Bref, sur un sujet que je ne maîtrise pas, je trouve que les textes de Baldwin sont d’une grande intelligence, d’une grande ambition intellectuelle et d’une grande sincérité. C’est un discours salutaire, qui, comme le dit une amie, a le mérite de nous donner l’impression d’être moins ignare après sa lecture.

Car le mal est dans le monde : sans doute pour toujours. Aucune croyance, aucun dogme ni, certainement, aucune personne ne peuvent empêcher son existence ; il demeure à chacun, nu, seul, encore et encore et encore, d’arracher son salut de ses sombres mâchoires.

Ces articles parlent aussi bien de la vie Harlem, de l’attitude de la police vis-à-vis des noirs, de l’antisémitisme des noirs, de l’enseignement, de l’hypocrisie du gouvernement à défendre des universités pour les noirs, de l’ambivalence du Nord et du Sud des États-Unis, d’homosexualité, des déchirements internes aux noirs américains, du fait que le racisme fait du mal également aux blancs et plus généralement à tous les êtres humains.
L’accent est mis sur l’enfant, l’enfant noir découvrant peu à peu qu’il vit dans un pays de mensonge, où les idéaux mis en avant ne s’appliquent ni à lui ni à sa famille ni à ses amis. La haine et la rage et la violence qu’engendre une telle prise de conscience sont particulièrement bien décrits par Baldwin. 
Je retiens également un article très intéressant sur la langue des noirs américains et sur l’américain plus généralement.
À lire pour s’oxygéner l’esprit. Et lisez son roman La Conversion.

Mais qu’arrive-t-il à l’esprit du pauvre Blanc, homme ou femme ? Ceci : ils ont été éduqués à croire, et croient désormais irrémédiablement que, si terribles que soient leur existence et le malheur qui s’abat sur eux, une consolation existe, semblable à une révélation céleste – au moins, ils ne sont pas noirs. Mon hypothèse est que, de toutes les choses abominables qui puissent arriver à un être humain, c’est là une des pires. Mon hypothèse est que, dans le Sud, ce qui est arrivé aux Blancs est, d’une certaine manière, bien pire que ce qui est arrivé aux Noirs.

Au fond, j’avais appris que le désir d’un homme pour un autre rôde partout, avide, désespéré, incroyablement isolé, et culmine souvent dans la drogue, la piété, la folie ou la mort. J’avais aussi l’impression terrible de me voir, moi, à la queue d’une longue file indienne, avançant lentement : bientôt je serais le prochain.

Merci Magali pour la lecture.


D. Stevens, Amy, 1930, Musée d'Ottawa.

2 commentaires:

Lili a dit…

James Baldwin m'est totalement inconnu. Je le découvre grâce à ton billet, et celui que tu as écrit sur La conversion que j'ai suivi dans la foulée, et clairement, il semble extrêmement juste et passionnant. Merci pour l'envie suscitée de le lire !

nathalie a dit…

Si tu peux trouver le documentaire I am not your negro, il est la source de mon enthousiasme pour cet auteur ! Je vais essayer de lire ses autres romans, j'espère qu'il te plaira autant qu'à moi.